Encore un très bon film d'Edward Dmytryk. Dense, passionnant.
Une belle réflexion sur la lâcheté et la responsabilité. On est pendant la deuxième guerre mondiale, sur un vieux dragueur de mines dans le Pacifique. Une suite de différends va opposer le commandant du vaisseau à certains de ses officiers conduisant ces derniers à une mutinerie qui, bien sûr, fera l'objet d'un procès.
Le scénario, tiré d'un roman malheureusement introuvable, est très habile (*).
Au premier visionnage, on ne voit pratiquement qu'un "discours" à charge contre le commandant du navire. Ce n'est que lorsqu'on le revoit et donc qu'on connait la fin de l'histoire qu'on découvre que le "discours" est hautement plus subtil et que, tel un puzzle, on se rend compte que les choses sont loin d'être aussi simples et que bien des éléments avaient été (discrètement) dits. Et "rien" n'est de trop dans le film.
Commençons par parler de la "romance" qui a, de mon point de vue, toute sa raison d'être dans le film. Elle concerne le jeune enseigne de vaisseau Keith frais émoulu de l'école. À peine sorti des jupes de Maman et incapable d'assumer sa liaison avec une chanteuse de cabaret. C'est le Témoin sur le navire Caine. Mais un témoin innocent et naïf qui va (peut-être) apprendre de ses erreurs (en les attribuant à autrui) : bref, un petit con. À la fin, il va avoir un peu grandi en maturité. Un peu seulement. On peut l'évaluer à l'évolution de sa relation avec "ses" deux femmes. Ce n'est qu'à la toute fin qu'il comprend "un peu" ce qu'il s'est passé sur le bateau.
Le "témoin" Keith découvre sur le Caine un monde d'hommes (expérimentés) à travers le commandant Queeg (Humphrey Bogart), le second Maryk (Van Johnson), le lieutenant Keefer (Fred McMurray). Ce dernier est un intellectuel, officier de réserve, mobilisé, plutôt avenant et parait avoir une vue élargie et doctorale sur les hommes.
Régulièrement mis en défaut et rabroué par le commandant, peu soutenu par le second (et pour cause), le jeune Keith se rapproche du lieutenant Keefer que le spectateur peut, ainsi, suivre en détail. Et apprécier.
Le jeune Keith a toute sa raison d'être car c'est grâce à son inexpérience qu'il va contribuer involontairement à la tragique évolution des évènements.
Le scénario est ainsi bouclé pour nous offrir une subtile manipulation. Du grand art de la part de Dmytryk.
L'interprétation des personnages par Van Johnson, Fred McMurray et plus tard, José Ferrer, dans le rôle de l'avocat des mutins, est très convaincante car chacun est parfaitement dans son rôle. Van Johnson, coupable mais de bonne foi. José Ferrer dans un rôle incisif et profondément lucide. Lui, a vraiment compris la manip sans qu'on lui explique. Fred MacMurray dans le rôle d'un vrai lâche.
Et Humphrey Bogart qui joue ici un de ses derniers grands rôles ? Il compose un personnage complexe absolument passionnant. Peut-être un de ses plus beaux rôles ! Il est en fin de carrière et joue le rôle d'un homme usé, à qui l'Amirauté confie encore une fois, un commandement après 18 ans de bons et loyaux services. Usé, seul et maladroit. Ou plutôt usé, maladroit et donc seul. Quelle belle scène bouleversante que celle où il se livre, humblement, à ses officiers qui ne lui tendent pas la main en retour !
Un film de guerre passionnant disais-je en entrée ? Un film sur la lâcheté ? Plus que ça, un film sur la solitude de l'homme responsable qu'il s'appelle Queeg ou Maryk, chacun dans son genre.
(*) 8/9/24 : roman de Stephen Wouk enfin trouvé par hasard. Cf critique roman