C'est une histoire méconnue mais qui fait le bonheur des cinéphiles qui étaient mômes dans les années 80. En courant après les triomphes des productions Spielberg et Lucas, les studios Disney ont accouché, sur un peu plus de cinq années, d'une série de films tous plus malades les uns que les autres. Que ce soit au niveau de l'animation (avec comme sommet le terrible Taram et le Chaudron Magique) et surtout en live (du Trou Noir en passant par Le Dragon du Lac de Feu), Disney cherchait la recette susceptible de séduire aussi bien les enfants que les adultes. Bref, c'était l'alchimie de Star Wars et d'Indiana Jones qui leur échappait et l'hégémonie de Mickey sur le divertissement familial vacillait. Majoritairement conspuées en leur temps, ces tentatives très inégales méritent d'être redécouvertes aujourd'hui. C'est en particulier le cas de Return to Oz (Oz, un monde extraordinaire en VF), surtout à la lumière du fiasco du récent Monde Fantastique d' Oz de Sam Raimi.
Suite directe du classique de Victor Fleming, quelques 46 ans après, Return to Oz est une adaptation assez fidèle des deux prolongements du Magicien d'Oz rédigés par Frank L. Baum. Il s'agit du Merveilleux Pays d'Oz (1904) et de Ozma, la Princesse d'Oz (1907). Les nombreux fans de l’œuvre de Baum estiment que le film de Walter Murch est plus fidèle au texte et à l'esprit de l'écrivain que celui de Fleming. Il faut dire que, début du siècle oblige, les récits de Baum possèdent une noirceur pas forcément évidente à rendre à l'écran. Sur sa lancée crépusculaire, Disney plonge tête baissée avec en ligne de mire The Dark Crystal de Jim Henson et Frank Oz (justement). En résulte un film improbable qui créa la polémique, fut un fiasco, avant de sombrer dans les limbes du 7e Art.
Mais ceux qui l'ont vu à l'époque, surtout s'ils étaient mômes, n'ont jamais oublié Return to Oz. Très culte, car quasi introuvable, l’œuvre provoque encore l'effroi et l'émerveillement à chaque évocation. Pour la petite histoire, il paraît que les enfants sortaient en hurlant en plein milieu des projections. Rien ne leur est épargné. Ce pays d'Oz étant plutôt celui dont on fait les cauchemars. Dès les premières scènes, Dorothy est envoyée dans un sorte d'hôpital psychiatrique pour enfants où elle échappe de peu à une séance d'électrochoc longuement présentée lors de scènes angoissantes. Elle parvient à s'évader grâce à l'aide d'une gentille comparse blonde qui finira noyée dans une rivière en furie quelques instants plus tard. Le film de Murch reprend l'idée que Dorothy s'enfuit dans un monde imaginaire pour échapper aux traumatismes du quotidien. C'est d'autant plus évident dans cette histoire où Oz accueille les proches de Dorothy ayant trouvé la mort. La fin du métrage n'hésitant pas à sous-entendre une réelle schizophrénie chez l'héroïne.
En attendant, les bambins auront droit à d'étranges punks à roulettes, un désert qui transforme tout ce qu'il touche instantanément en poussière, à une sorcière qui collectionne les têtes décapitées (mais vivantes) histoire de pouvoir en changer à la moindre occasion, à un roi des gnomes cruel et cannibale, et on en passe. Oppressant, prenant place dans une version dévastée du Oz de Fleming, le film joue la carte de la noirceur avec une sincérité totale. Même les nouveaux compagnons de Dorothy, aussi attachants qu'ils soient, sont capables d'effrayer le jeune public. Production fastueuse, Return to Oz a les moyens de ses ambitions et bénéficie en outre d'excellents effets spéciaux. Les animations image par image des gnomes de pierre sont tout à fait convaincantes, sans parler des décors et costumes, rarement pris en défaut. Notons aussi une excellente musique signée David Shire (Conversation Secrète, Zodiac). Spectaculaire et bien rythmé, le film aligne les qualités. Son interprétation n'est pas en reste, surtout quand on découvre que le principal antagoniste possède l'inimitable voix de Nicol Williamson, le Merlin d'Excalibur. L'autre coup de génie étant la découverte de la jeune Fairuza Balk, dont les traits inhabituels et le talent déjà évident, contribuent à l'étrangeté de l’œuvre.
Bien sûr, ce n'est pas parfait, loin de là, et on ne cachera pas une certaine indulgence liée tout autant à la nostalgie qu'à la rareté du film dont on aimerait une réhabilitation en fanfare. Pour y revenir, on est assez loin du chef-d’œuvre Dark Crystal. Ceci dit, l'intelligence de Return to Oz, intéressante introduction à la psychanalyse pour les plus petits, surprend encore aujourd'hui. Si on ajoute le visuel fastueux et la bizarrerie permanente, le film fascine d'un bout à l'autre. De surcroît, bien peu de productions Disney peuvent se vanter de faire réfléchir longtemps après la fin de leur visionnage. Car la plus grande qualité de Return to Oz est aussi son principal défaut, c'est une œuvre qui hante. Autant de thèmes passionnants et d'audaces ne peuvent pas être seulement le fruit du hasard, il s'agit d'une vraie réussite incomprise.
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