Pacifiction est le premier film que je regarde d’Albert Serra. J’avais entendu parler de quelques unes de ses frasques et de quelques uns de ses films, en bien, et je dois dire que Pacifiction a été une petite claque pour moi.
Tout d’abord, il faut le dire : Pacifiction est un film long et lent, très lent. La longueur du film (2h45) ne m’a pas dérangé, j’ai passé un bon moment, mais elle peut clairement rebuter le grand public, surtout que le film part finalement de presque rien, d’une rumeur à vrai dire : la France va, selon les on-dit, reprendre les essais nucléaires à Tahiti et le Haut-Commissaire De Roller, brillamment incarné par Benoît Magimel, doit s’occuper de cette affaire. Voilà le synopsis, très simple. Maintenant on voyage 2h45 à Tahiti, sur un rythme flâneur qui, je dois bien l’avouer, a failli m’endormir à certains moments. Mais ce rythme sert finalement le film et correspond bien au rythme de vie d’une île. Serra arrive vraiment à nous immerger dans cette ambiance très calme, mais c’est un « faux-calme » : on sent que quelque chose se trame et De Roller n’y peut rien, il ne contrôle rien, il l'avoue lui-même.
De Roller est un politique qui déteste ce milieu, complètement hors-sol selon ses propos. Il n’hésite pas à insulter le président et, avec sa tenue coloniale, il ne ressemble en rien à un homme politique comme on pourrait l'imaginer. Ce Magimel bedonnant est parfait dans ce rôle. C’est un film qui, comme son titre l’indique, relève de la fiction et nous offre des scènes incongrues mais c’est aussi un film très réaliste dans sa mise en scène, un effet probablement obtenu par le fait que Serra ait tourné avec trois caméras en même temps. Si Magimel est bien sûr l’acteur incontournable de Pacifiction, il faut également souligner la qualité du reste du casting, en partie composé d’acteurs tahitiens évidemment dont Pahoa Mahagafanau, Rae-rae (trans masculin) qui m’a fait découvrir un pan de la culture polynésienne autour du troisième sexe dont j’ignorais l’existence. J'ai également noté une particularité à ce film: alors qu'on compte de nombreux personnages très peu vêtus desquels il émane une certaine sensualité, Pacifiction ne présente aucune liaison amoureuse, ni de scène de sexe et il n'y a pas de morts.
La partie finale du film est celle que j’ai préférée. Je ne m’attendais d’ailleurs pas à ce que le film se termine de manière si brusque. Dans cette partie, alors qu'on vient d'assister aux pérégrinations nocturnes de De Roller, le film devient quasi-mutique alors qu'il était jusqu’à présent rythmé par moult dialogues et tirades. On ne sait plus trop ce qu’il se passe, on comprend simplement que De Roller ne contrôle vraiment plus rien. Ce délire paranoïaque nous emmène du terrain de foot sous la pluie à la boite de nuit aux teintes bleutées, dans une scène de danse hallucinatoire. Il ne se passe plus grand-chose mais c’est beau, c’est du cinéma. L’esthétique de Pacifiction est d’ailleurs l’un de ses points forts évidents : les nombreux couchers de soleil sont tous aussi beaux les uns que les autres, les paysages tahitiens font partie intégrante du film et Serra les utilise à merveille.
Pacifiction est un film qui peut paraître difficile à décrire et à appréhender. Selon moi, il mérite néanmoins qu’on s’accroche pour son atmosphère troublante, ses plans crépusculaires, cette fin surréaliste et ce Benoit Magimel engoncé dans cet atypique rôle de Haut-Commissaire colonialiste.