Le point de départ du film est la perte de l’image iconique d’un paradis possible et envisageable, un endroit idyllique où se réfugier loin du bruit et de la fureur. C’est la sensation que nous ressentons tous aujourd’hui, que cette possibilité d’une île mythique sur laquelle pouvait régner une harmonie, a entièrement disparue, avalée par des intérêts obscurs ; la conscience diffuse que le futur du monde sera une immense colonie uniformisée, dont la violence intrinsèque aura été diluée dans une fausse bienveillance qui ne répond plus à une logique raciale ou à une conquête militaire mais à des intérêts impossibles à discerner même pour ceux qui nous dirigent, un trou noir opaque, un point aveugle qui rend flou l’avenir de toutes les populations du globe ; générant des angoisses, des tensions et des soupçons impossibles à identifier clairement.
C’est un film sur l’ambiguïté d’un capitalisme infiltré, sans visage lié aux États, colonisant les esprits et générant une hostilité tamisée.
« Pacifiction » fonctionne comme une membrane visionnaire captant les sensations, acteurs et spectateurs deviennent des réceptacles, contenant de façon constante la pression imposée par ce système indéchiffrable qui nous régit et contre lequel nous ne pouvons nous révolter car il n’est plus conçu pour nous opprimer mais pour nous surveiller.
Sur ce point, les films de Serra sont des films politiques, ne serait-ce que parce qu’ils ne correspondent jamais aux cahiers des charges d’une production cinématographique liée au capitalisme moderne ; ils ne sont pas des objets de consommation mais des sujets de réflexions.
L’ensemble des composants de ses films sont au même niveau, il n’existe pas de hiérarchies ; cette insubordination constante évite à ses films de nous donner une leçon ; et c’est cette déhiérarchisation qui permet à ses films de fonctionner comme des augures. (Godard n’est pas très loin).
Les éléments du film (casting, acteurs, décors) sont tous en inadéquation les uns avec les autres et ce décalage subtil provoque chez le spectateur de légers états d’hypnose ; l’extrême longueur des scènes aussi , devenues très rares dans le cinéma contemporain, permettent de garder le spectateur sous tension, et sans cette particularité, il n’y aurait qu’une transmission d’une communication (et c’est cette communication qui rend 98 % des productions actuelles si superficielles), mais ici et dans tous ses films, ces petits moments d’ennuis permettent de dérouter le spectateur de ses habitudes et de rendre ses certitudes floues.