Illusions perdues
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Panique, c'est le choc frontal entre le climat anxiogène des années 30 et le dégoût qui a pu naître après guerre, au sortir de longues années d'occupation et de collaboration. Paru en 1933, le roman Les fiançailles de Monsieur Hire de Simenon, plus qu'adapté, se retrouve dynamité en 1946 par un réalisateur au sommet de sa misanthropie. A quatre mains et deux esprits, Julien Duvivier et Charles Spaak transcendent l'intrigue policière du romancier pour en extraire un portrait de la société française farouchement noir, acerbe, virulent sous des atours tranquilles.
Soucieux de ne faire aucun jaloux, ils tapent d'ailleurs à tous les étages du microscosme parisien. De la bourgeoisie (le percepteur, couard et imbu de sa "sagesse") aux gagne-petit en passant par les petits commerçants, tous finissent vilipendés à parts égales en faisant montre d'une bêtise assommante et en se livrant à quelques activités humaines des plus répugnantes et malsaines : voyeurisme, commérage, délation, grégarisme... Ceux qui manifestent quelques éclairs de lucidité finissent malgré tout aspirés dans le sens de la marche du troupeau dès lors qu'il s'agit de lyncher le coupable idéal.
Par bonheur, la finesse d'écriture le dispute à l'absence de tout moralisme. C'est ce qui frappe avant tout, une intelligence de tous les instants qui, patiemment, trace les grandes lignes d'une oeuvre dont l'évidence et la cohérence totale s'imposent petit à petit jusqu'à ce final apocalyptique. Avant d'en arriver là, Duvivier installe patiemment une atmosphère étrange, très sensorielle. Tout en contrastes, le sublime noir et blanc renforce ses choix de mise en scène, dessine des visages hantés par les recoins sombres de l'âme, et accentue finalement le climat détestable dans lequel évoluent les acteurs de ce théâtre tragique en donnant une tonalité surréaliste, profondément psychologique à l'ensemble.
Une fois l'écran de fin tombé, j'ai été sidéré de voir à quel point, en y repensant, tout s'emboîtait parfaitement, à quel point Duvivier n'avait absolument rien filmé de superflu. Panique est un modèle absolu de structure narrative, une merveille de concision qui parvient malgré tout à faire passer son propos avec autant d'aplomb que les plus longs discours. Le tout avec un humour noir qui ferait passer l'acide pour du thé au miel, à l'image de la chanson "L'amour est la beauté du monde", sommet d'ironie cinglante qui revient comme un leitmotiv coup de poing à mesure que le film bascule de plus en plus dans l'ignominie.
Comment ne pas également rendre hommage à Michel Simon, qui donne une interprétation magistrale de ce Monsieur Hire, l'un de ces moutons noirs dont Brassens chantait la "mauvaise réputation". Sa silhouette idéale, son jeu tout en nuances en faisaient le candidat désigné pour incarner cet antihéros seulement coupable d'être tombé amoureux. Malheureusement pour lui, Cupidon avait mis sur sa route une femme fatale, LA femme fatale du cinéma français des années 40, Viviane Romance.
Panique, à l'instar de son penchant américain La poursuite impitoyable, un autre film de lynchage, renvoie à la société une image malheureusement encore aujourd'hui très proche de la réalité, fustigeant la fascination morbide de l'espèce humaine pour les faits divers, et le profond mépris des masses pour les brebis galeuses. Indiscutablement intemporel, le pamphlet de Duvivier mérite une place de choix au panthéon du cinéma français, et du cinéma tout court.
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le 11 nov. 2016
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