J'ai découvert le réalisateur autrichien Ulrich Seidl avec son film choc Dog Days en 2001 et depuis je suis assez client de son travail que ce soit dans le domaine du documentaire comme de la fiction. En 2012 Ulrich Seidl débute sa trilogie Paradis qui s'interroge sur la quête du bonheur avec Paradis : Amour , un film dans lequel on retrouve par le prisme de la fiction toute la froide et médiocre crudité du monde que le réalisateur décortique habituellement dans ces documentaires.


Paradis : Amour nous raconte l'histoire de Teresa une mère célibataire autrichienne d'une cinquantaine d'années qui part en vacances au Kenya en espérant y retrouver l'amour. Sur place elle découvre d'autres femmes comme elles qui lui font découvrir le phénomène des Sugar Mama avec la possibilité de se faire aimer de jeunes hommes africains à condition toutefois d'y mettre le prix.


Fidèle à son amour du documentaire explorant les faces sombres des comportements humain et de la société, Ulrich Seidl a construit son film pour que le réel puisse venir a tout moment modifier et densifier le scénario initial. Si les personnages féminins sont tous incarnées par des actrices en revanche les jeunes hommes noirs sont tous des non professionnels et le réalisateur va construire la structure de son film sur interattraction et l'osmose entre les personnages. L'actrice principale Margarete Tiesel va ainsi rencontrer plusieurs hommes dans des séquences plus ou moins improvisées et c'est l'intensité de ces rencontres et leur véracité qui dicteront ensuite à Ulrich Seidl leur place dans le récit. La mise en scène de Ulrich Seidl reste assez fidèle à son style avec peu de mouvements de caméra, une grande rigueur de cadre savamment composés et ce regard presque froid et distancé sur tout ce qu'il nous donne à voir. Le cinéma de Ulrich Seidl est aussi très cru dans sa représentation des corps et des médiocrités humaines et il filme ici de manière assez clinique et sans doute dérangeante pour un grand nombre de spectateurs la nudité frontale de ces jeunes africains et les corps de ces femmes mures et souvent obèses pas épargnées par le temps. Si certaines scènes sont très belles comme lorsque Teresa (Margarete Tiesel) dort nue telle une odalisque derrière un voile bleu dans une composition d'image très picturale, d'autres séquences provoqueront un peu plus le malaise comme lorsque un jeune africain offert pour l’anniversaire de Teresa se retrouve nu entre quatre femmes qui tentent de le mettre en érection tout en lui donnant des ordres comme à un animal de compagnie. Outre la crudité des images, Ulrich Seidl explore la médiocrité des sentiments car le titre semble bien ironique tant il sera bien peu question d'amour tout au long du film. Si le personnage de Teresa est un poil plus nuancé (j'y reviendrais plus bas) on retrouve tout de même dans les discours et les attitudes de ces femmes blanches de vieux relents de racisme ordinaire et de colonialisme assez dégueulasse. Ces femmes qui ne se sentent plus désirables pour leur âge et leurs corps viennent se frotter ici au mythe du bon sauvage et à l'illusion d'être à nouveau désirées par de jeunes hommes qu'elles traitent le plus souvent avec un relatif mépris. A ce titre la scène du bar ou l'on voit de dos deux de ces femmes hilares humilier un jeune barmaid en lui faisant dire boudin noir ou monsieur Banania en autrichien est assez symptomatique des rapports humains décris par le réalisateur.


Il y-a dans le film un plan absolument saisissant qui montre d'un côté des touristes blancs allongés sur des transats et de l’autre des hommes noirs debout sur la plage avec entre les deux un fragile cordon et un gardien qui patrouille pour protéger cette étrange frontière. Comme deux mondes qui se côtoie et se regarde à peine, deux univers sur un même espace qui vivent ensemble sans pouvoir vraiment se rencontrer si ce n'est dans des rapports bien plus mercantiles qu'humains. Elles n'ont plus l'attrait du désir mais elles ont les moyens, ils ont le corps et la jeunesse mais pas d'argent ; leur rencontre pouvait elle autre qu'un minable échange de bons procédés. Le réalisateur avait d'ailleurs déjà explorer cette thématiques des corps marchands dans le tétanisant Import Export en 2017 . Car si le regard d'Ulrich Seidl n'est pas tendre avec ces femmes il ne l'est pas beaucoup plus envers ces hommes qui manipulent, se vendent en faisant mine de s'offrir et ne cherchent finalement qu'à plumer du touriste dans d'illusoires parades amoureuses qui profitent allégrement de la détresse affective de leurs victimes. Si certaine femmes ne sont pas dupes de ce petit jeu et s'en accommode très bien, Teresa le personnage principale est plus touchant dans sa démarche car vraiment en quête d'amour et de bonheur quitte à passer de désillusions et désillusions et finir son séjour peut être encore plus seule qu'à son arrivée. Le personnage le dira lors d'un dialogue, elle cherche un homme qui la regarde droit dans les yeux jusqu'à voir son cœur et oublier ses rides, son âge, ses seins qui tombent et son gros cul … Elle ne trouvera dans de cruels jeux de séduction amoureuse et sexuelle que des hommes intéressés qui regardent dans son sac à main jusque dans son porte monnaie.


Avec Paradis : Amour Ulrich Seidl démarre donc une trilogie riche en promesses même si l'on sait que le voyage ne sera pas de tout repos et que l'exploration misanthrope du monde dont est coutumier le réalisateur laissera des traces. Pour se rassurer sur nos médiocrités on pourra toujours se répéter le leitmotiv du film : Hakuna Matata , tout va bien !

freddyK
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le 13 mars 2024

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