Paradis : Amour par Courte-Focalefr
On l’avoue sans honte, il y a bien un plan sidérant qui vaut le détour dans Paradis : Amour. On y voit une frontière délimitée entre deux parties d’une plage du Kenya, l’une avec de riches visiteurs étrangers étendus sur des transats en plein soleil, l’autre avec de pauvres Africains qui restent fixes en attendant que quelqu’un vienne leur parler. Cette image, qui intervient au bout d’un quart d’heure, laissait espérer un drame puissant sur le blocage interculturel, d’autant que le cinéaste autrichien Ulrich Seidl annonçait ce film comme le premier volet d’une trilogie acide sur la quête du bonheur. Mais ce serait bien oublier qu’il s’agit là du réalisateur de Dog days et Import/Export, deux opus d’une subtilité inexistante qui, sous couvert d’une quête de réalisme sans tabous, ne faisait que plonger ses protagonistes (tous vulgaires) dans des situations humiliantes. Et comme il s’attaque ici au tourisme sexuel, on se préparait déjà à sortir plus d’une fois le sac à vomi. En vérité, c’est encore pire : au lieu de se contenter de choquer le spectateur avec ses plans (toujours aussi crus et étouffants), le film provoque la colère en finissant par justifier (et non par dénoncer) la frontière symbolique que l’on évoquait ci-dessus.
Premier temps : le cinéaste fige son récit autour d’une bande de femmes autrichiennes réduites à des stéréotypes de mochetés beaufs (il faut les entendre parler des parties génitales des Africains, ou les prendre de haut en leur faisant dire des obscénités), tout en les écrasant dans un cadre à la photographie caniculaire et aux perspectives géométriques. Deuxième temps : il finit par changer de point de vue en stigmatisant les Africains comme des hordes de harceleurs cupides, lâches, menteurs et obsédés par l’argent. On aura beau apercevoir là-dedans l’envie d’aborder l’exploitation réciproque de la misère sexuelle ou sociale chez l’être humain, la persistance de Seidl à mépriser les gens qu’il filme, à rester le plus voyeuriste possible sur la dégueulasserie de l’humanité pour ne rien produire d’autre au final que du dégoût, à élargir sa crudité vers le porno (la scène finale du « gang-bang » est d’un racolage inouï) et à flirter avec le racisme dans la peinture d’une Afrique sale et malfaisante finit par abattre tout espoir de nuance là-dedans. Et pour ce qui est de raconter l’histoire d’une femme mûre espérant trouver de l’amour et des sentiments au cœur de l’Afrique, Laurent Cantet s’était déjà montré plus respectueux et infiniment moins cynique dans Vers le sud. Ulrich Seidl, lui, ne carbure qu’au sordide et à la lourdeur, ne vise qu’à mettre mal à l’aise son audience sans finalité, et semble s’abreuver de son sadisme jusqu’à la fierté. C’est son problème.