Paradis : Amour par pierreAfeu
Comment aborder la sexualité au cinéma, surtout lorsqu'elle ne répond pas aux critères moraux et esthétiques imposés ? De quelle manière expose-t-on les corps, que doit-on montrer ? Quid du désir ? Les questions ne sont pas nouvelles, et Paradis : amour y apporte des réponses frontales, souvent brutales, pas aimables.
On peut trouver le film caricatural. Mais que connaît-on de la réalité qu'il évoque ? Qu'en est-il réellement du tourisme sexuel au Kenya ? Paradis : amour se départit pourtant d'un certain réalisme, il manie l'ironie et assume sa part de grotesque : les singes qu'on ne peut pas photographier, les vacanciers virant du blanc au rouge sur les chaises longues alignées, les hommes qui attendent en rang d'oignon sur la plage, les animations du centre de vacances, la plage elle-même, presque diaphane, irréelle, le très beau et symbolique dernier plan. Davantage qu'une dénonciation en règle d'une réalité jugée sordide (le commerce des corps), schéma colonial revisité, Paradis : amour, en privilégiant le personnage de Teresa, fait de la singularité la force de son récit.
Qui est Teresa ? La représentante de l'occident dominant, ou une quinquagénaire seule et trop ronde ? Exportée en Afrique dans un simulacre exotique, entourée de ses semblables, autres femmes seules, un peu âgées, un peu grosses, Autrichiennes, toutes douées d'un racisme ordinaire qui fait froid dans le dos (voir la scène du bar), désertée sexuellement, Teresa va s'offrir ce que la décence lui interdit dans son pays : du sexe avec de jeunes hommes. C'est parce qu'elle est ici, et c'est parce que les hommes en question vendent leur corps, qu'elle va se permettre cette "déviance". Peut-être le ferait-elle en Autriche, à condition que ça ne se sache pas...
L'amour tarifé est un jeu de dupes - n'oublions cependant pas qu'il résulte très majoritairement de situations sociales et morales dramatiques. Le fait que les prostitués soient des hommes, et les clientes, des femmes mures, ne change finalement pas la donne, l'affaire est biaisée. Dès le départ. Munga parle d'amour à Teresa, laquelle demande sans cesse si elle n'est pas trop grosse, ou trop vieille, comme si elle attendait une réponse sincère, alors qu'elle la redoute et sait qu'on lui ment - la vraie réponse arrivant en fin de film avec le barman, dans une scène malaisante. On ne parle donc pas d'argent, mais il faut payer, pour le neveu malade, le frère accidenté, etc. Tout fonctionne si chacun respecte les codes.
Beaucoup de corps nus dans Paradis : amour. Ni magnifiés, ni salis par une image moralisatrice, ils sont montrés tels qu'ils sont, beaux sous la moustiquaire, avides lors de la soirée anniversaire, désirables ou désolés. Cette intimité, impudique par essence, nous permet de mieux comprendre Teresa, de ne pas la juger. Face à elle, les hommes monnayent ce qui s'échange. Ils répondent à la demande, c'est la loi du marché.
On peut reprocher au film de trop surligner la solitude de Teresa, d'être parfois à la limite du voyeurisme, d'en faire trop, d'en montrer trop. On ne peut pas lui reprocher d'aborder sans fard un sujet délicat, qui met à mal notre propre relation au sexe, nos codes moraux, notre vision du monde. Paradis : amour dérange, et c'est tant mieux.