Innocence
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le 1 nov. 2011
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Plus que jamais, Paranoid park nous fait comprendre ce qui fait toute la richesse et les possibilités du cinématographe, ce qui le différencie de la littérature (je n’établis pas une hiérarchie ici). Adapté d'un roman de Blake Nelson, le film de Gus Van Sant transcende la narration linéaire pour nous proposer une expérience sensitive. Le cinéma est sensitif, là où la littérature l'est d'une toute autre manière. Le roman de Nelson choisit de suivre de façon linéaire et chronologique les événements. Gus van Sant a l'intelligence, le génie, de ne pas reproduire ce qui faisait la logique même du roman. Le cinéma étant sensitif, le spectateur doit vivre véritablement, l'expérience de la culpabilité et ses conséquences, le thème fort du livre. Pour ce faire, il utilise tout ce que lui offre le cinéma : le son, le montage, les effets de ralenti.... Si bien que le film est d'une complexité bien supérieure au livre. Il ne respecte pas une trame linéaire mais fonctionne plutôt par sursauts narratifs, échappées temporelles et déconstruction logique. Musicien d'origine, le film de Gus Van Sant est semblable à une symphonie. On a la fois une mélodie de fond, une trame narrative tout à fait logique mais celle ci se présente à nous dans un désordre absolu. Le monde s'écroule pour ce jeune adolescent, il n'arrive plus à se connecter au réel. Au début du film, lorsque l'adulte lui parle, il ne répond que vaguement, plongé dans ses pensées, déconnecté de la réalité. Le film commence sur un ailleurs, cet ailleurs c'est ce skatepark, refuge de la réalité, enveloppé de la musique d'Ethan Rose. Il s'agira pour le personnage principal, de remettre en ordre les événements qu'il a vécu, dépasser le cap de la culpabilité pour pouvoir vivre une vie normale. Face à cette situation, il se décide d'écrire. Par l'écriture, il s'agira de retrouver un fil, une logique. On voit ainsi que c'est par les mots, la littérature, que l'on atteint à une sorte de chaos ordonné, là où la confrontation directe avec les événements n'offre qu'un sentiment de confusion. Paranoid Park retranscrit le processus de l'écriture pour sortir d'un état dépressif, le passage de l'atemporalité à la reconnaissance de soi. Grâce à l'écriture, on quitte le présent éternel pour entrer dans une prise de conscience du temps puisque le narrateur va pouvoir raconter ce qu'il a vécu.
Il y a tout d'abord une incapacité à avoir une vue d'ensemble. L'écriture cherche justement à donner cette distance, que nous ne permet pas d'avoir la confrontation frontale d'un sujet avec des événements dramatiques. La culpabilité se caractérise par un désordre du sujet en même temps qu'un désordre du monde. Il s'agit pour Alex de nous cacher tout d'abord la vérité. Le récit est en roue libre, il est incapable d'avancer. Ainsi, nous assistons plusieurs fois aux mêmes scènes, comme s'il y a avait un désir à retarder le moment de la révélation.
Gus Van Sant fait partie de ses rares cinéastes qui arrivent à représenter le temps qui s'arrête. Peu après qu'Alex vient de tuer accidentellement le vigile, il s'allonge sur un lit et nous sommes avec lui dans une suspension du temps, en même temps qu'une suspension du récit lorsque nous voyons ces squatteurs dans une musique hypnotique et sublimés par la photo de Christopher Doyle. La culpabilité se manifeste aussi dans la scène de l'interrogatoire, on entend le cri du vigile mourant alors que cette scène est encore inconnue au spectateur. L'architecture du film pourrait très bien se résumer à la scène de la douche. Tous les événements finissent par déferler littéralement à la face du spectateur, le poids de la culpabilité, trop lourd à porter, finit par céder pour finalement laisser la place à la vérité.
Paranoid Park, bien trop sous estimé par les critiques, apparaît, selon mon opinion la plus personnelle et subjective, comme le grand film de son temps, comme a pu l'être Hiroshima mon amour et Citizen Kane a une certaine époque. Chef d’œuvre de son temps, tout simplement car il réussit non pas à raconter une histoire mais à la faire vivre littéralement à ces spectateurs. Rarement un film n'aura été aussi proche de son personnage. Comment par le biais du cinéma, peut-on se mettre à la place d'une personne pour qui le monde n'a plus de sens ? Gus Van Sant, grâce à son génie, y parvient. Plus que jamais, on comprend que si le temps apparaît comme chronologique et logique aux yeux de tous, pour d'autres, le temps n'a pas cette puissance qui nous fait vivre. Car lorsque tout s'écroule, on n'est plus acteur de l'action, pris dans une temporalité dont on n'a même pas la conscience d'existence. On devient spectateur du monde. Cette sensation là, peut de cinéastes arrivent à la capter.
Paranoid Park se rattache parfaitement à la trilogie du réalisateur, composée de Gerry, Elephant, et Last Days. Plus abouti, il apparaît comme la quintessence de la carrière du cinéaste. Quittant le fait divers, pour se concentrer non plus sur un événement, mais un sentiment (la culpabilité), Paranoid Park épuise toutes les possibilités offertes par le cinéma.
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Créée
le 22 juil. 2016
Critique lue 270 fois
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