Les films de Sirk se déploient de la même façon que le théâtre de Racine: condensation de la forme et dilemme moral d'un personnage toujours en prise aux pressions de la société. La beauté du cinéma de Sirk est de se servir d'une forme étiquetée comme populaire (le mélodrame), pour en faire surgir tout le substrat politique. Ici c'est avec un regard cynique sur son époque que Sirk nous dépeint tous les coups bas, les moqueries et les rumeurs que génèrent un amour impossible entre une veuve bourgeoise d'un certain âge et de son jardinier. La philosophie de Thoreau se trouve valorisée face au conformisme de l'American Way of Life. La couleur du film devient celle des sentiments. Bigger than life, elle témoigne d'une intériorité émotionnelle qui s'extériorise, réenchante le monde, fabrique un imaginaire à habiter face à la triste palette du réel. De même, Sirk introduit l'imagerie du conte, directement issue de la matrice Walt Dysney pour imprimer son récit d'une mélancolie enfantine en même temps qu'une sincère naïveté en la puissance du cinéma à "inventer une nostalgie pour un monde qui n'a jamais existé". C'est toujours avec une profonde émotion que le personnage sirkien s'arrache au rôle que lui a attribué la société pour devenir enfin un être pleinement incarné. On retiendra cette magnifique séquence (peut être la plus belle du cinéma) où Carry contemple son propre reflet dans un téléviseur, juste après que ses enfants lui ont annoncé leur départ du foyer familial et pendant que le vendeur lui vend un monde à habiter, fait de comédie, de drame....A ce moment, Carry prend conscience du destin qui l'attend. Elle acquière une voyance qui fait deviner l'immense solitude de son futur. A partir de cet instant, elle va enfin pouvoir Vivre sa vie, dirait Godard.
Tout ce que le ciel permet est le miroir optimiste de Mirage de la vie. La volonté de l'individu prime du déterminisme de la société. L'imagerie fantasmée l'emporte du réel tristement conventionnel. Le cinéma a plus à offrir que la télévision. La peur qui dévore l'âme c'est le regard des autres. Se dérober de ce regard, c'est inventer une imagerie, c'est se faire maître de son propre destin.