Cary Scott, interprétée par la très touchante Jane Wyman, est une veuve d'un certain âge qui ne vit plus qu'au travers de ses enfants et par les diverses mondanités qui s'offrent à elle. Un jour, elle fait la rencontre d'un beau jardinier qui l'éblouit par son charme, sa connaissance et sa vitalité. C'est alors le début d'une histoire d'amour extraordinaire, malheureusement entachée par le qu'en-dira-t-on et les propres limites qu'elle semble se fixer. Tiraillée entre sacrifier son bonheur personnel ou celui des autres. Une femme de son âge a déjà laissé passer sa vie et n'a plus le droit au bonheur...
Quelle petite merveille, ce long-métrage de Douglas Sirk ! Il est dit que c'est une comédie dramatique mais je suis en désaccord total, c'est un drame, ou plutôt une merveilleuse romance qui porte tous l'engrenage de la trame dramatique sans tomber dans le pathos. Ce qui est un comble vu que chaque scène est agrémentée de violons, de piano et de tout un attirail de haute facture. Mais voilà, c'est si beau. L'émotion semble cristallisée. "Tout ce que le ciel permet" ou le temps sans cesse déjouant les deux amoureux ou les embellissant, comme cette fameuse scène du baiser derrière la baie vitrée alors que la neige tombe et qu'ils ne sont plus que des ombres dans un bleu nuit magnifique...
Ce film, aux couleurs rouges, bleutées et jaunes qui créent une douce et lente symphonie amoureuse, est la formidable preuve qu'il n'est pas nécessaire d'utiliser le noir et blanc pour obtenir la même flamme artistique. La photographie est au service d'une passion vieille comme le monde et pourtant si hors du commun ici. C'est un diamant brut de scènes d'amour et de plans suspendus dans le temps, où ce gaillard, beau comme un dieu, qui la dépasse d'une tête, toujours dans l'ombre comme ses souvenirs, fait surface et illumine son existence peu à peu. Son emprise est totale.
Il y a beaucoup d'espoir dans ce conte façonné par des fondus au noir comme pour marquer plusieurs chapitres. Des ellipses qui racontent les palpitations extraordinaires du cœur de cette femme qui s'apprêtait à vivre sa vie de manière ordinaire. C'est grandiose, et elle comme Rock Hudson font chavirer le cœur du spectateur et mourir d'effroi pour eux quand ils ne font pas les bons choix. Faites en sorte qu'à la fin, tout finisse bien. C'est très paradoxal de remarquer à quel point cette oeuvre a l'air théâtrale et pourtant à quel point Jane Wyman notamment n'a pas l'air de jouer la comédie. Une prestation à la fois bouleversante et élégante motivée par un personnage profond et loin des romances de l'époque. L'acteur principal est peut-être un peu caricatural mais c'est tout l'intérêt de ce rôle qui submerge son aimée d'une manière folle et immédiate. C'est un bellâtre, il représente tout ce que son inconscient enfouissait dans son esprit.
Vivre sa vie, s'imposer le droit d'être heureux et ne pas se préoccuper de l'avis des autres, car à trop y faire attention on oublie de vivre et on contemple celle des gens devant soi, passif, avec envie et regrets. Ce postulat est tellement simple et pourtant tellement évident et magistralement mis en scène. La caméra n'a de cesse de suivre l'héroïne au cœur battant à nouveau dans ses moindres faits et gestes, et de se focaliser sur elle dès qu'elle se lève, se baisse ou se dirige quelque part, comme si elle avait tout à coup de l'importance, comme si elle existait et que, pour une fois depuis de longues années, on s'intéressait à elle. Elle ne doit plus laisser sa vie lui échapper comme si son destin était acté, regarder les gens avoir le bonheur qu'elle convoite tour à tour alors qu'elle a le sien juste en tendant les bras. Elle peut enfin avoir tout ce que le ciel permet d'avoir.
Alors, dans ce vieux moulin aménagé, elle se repose enfin, au coin du feu à ses côtés, la neige est partie aux carreaux et leurs sentiments sont... éternels.
"Toute la parade de la vie à portée de main" non plus sur le téléviseur mais devant elle, en vrai.
Elle vit, grâce à lui.