Quand Cannes prime à nouveau le cinéma...

Quand j’ai appris que Bong Joon Ho avait reçu la Palme d’Or pour ce « Parasite », je n’ai pas pu m’empêcher de me dire : « Ah tiens ! Cannes a décidé de se remettre à récompenser le cinéma. »


Bah oui. J’avais beau ne pas avoir encore vu ce film, pour moi récompenser Bong Joon Ho c’était forcément récompenser le cinéma avant tout. Le vrai cinéma. Le cinéma de la richesse technique au service du regard hors pair. Et maintenant que j’ai vu « Parasite », je peux désormais vous confirmer mon a priori.
Oui, « Parasite » est bien un film remarquablement mis en scène, brillamment mis en forme et somptueusement mis en mouvement.
C’est beau. Très dynamique dans son intrigue. Il y a une idée à chaque plan.
Tout matche à merveille. C’est vraiment du très bel ouvrage.
Là-dessus, je n’ai pas été déçu…


Et pourtant. Pourtant – je dois bien l’avouer – j’ai apprécié ce film sans me sentir transporté pour autant. La magie n’a pas opéré. J’ai vu un spectacle propre et minutieux mais sans qu’à aucun moment une flamme ne vienne m’embraser. Pourquoi ? Eh bien peut-être justement parce que « Parasite » ne se réduit en grande partie qu’à ça : à son talent plastique et métrique, mais sans pour autant que cet art ne soit mis au service d’un propos du même acabit.


Car franchement, où veut vraiment en venir Bong Joon Ho avec cette intrigue ? Des riches. Des pauvres. Des pauvres qui spolient les riches. Mais en retour des contreparties pour rappeler que si les pauvres sont aussi vilains c’est surtout parce qu’ils ne sont pas riches.


Et à la fin une petite galipette pour sous-entendre que la perversité du système repose sur le fait que cette violence physique des pauvres contre le riches est aussi stimulée par les violences symboliques des riches sur les pauvres, et qu’au fond les pauvres resteront toujours esclaves du système puisqu’en définitive ils chercheront à le reproduire pour eux-mêmes.


Ma foi oui – pourquoi pas – mais non seulement je trouve ça un peu court, facile et réducteur, mais surtout je trouve ça assez malsain.


Parce que l’air de rien, derrière un discours qui semble critiquer un certain ordre social (plus qu’il ne l’analyse d’ailleurs), on se retrouve quand-même régulièrement avec une démarche très rétrograde et droitière, posant très souvent le riche en victime et le pauvre en parasite. Les premiers sont benêts quand les seconds sont fourbes, manipulateurs et peu respectueux. Et même si le film essaye d’opérer une bascule lors de son dernier tiers, il est néanmoins discutable sur sa démarche. Pourquoi partir d’une situation initiale où on vient confirmer le préjugé « les pauvres viennent tondre la laine sur le dos des riches » ?


A qui s’adresse Bong Joon Ho au juste avec ce film ?
Et si son but était de s’adresser à une certaine bourgeoisie dans le but de casser ses préjugés, pourquoi opérer une bascule aussi molle ? Au fond, à la fin, le film nous dit juste :


« Le fossé entre les riches et les pauvres est trop grand. Il est plus qu’économique. Il est aussi culturel. Il est aussi dans l’habitus. Même une fois dans les belles maisons, les pauvres seront toujours chassés par la première pluie et renvoyés dans les égouts. OK. Mais c’est tout ? Parce qu’au final c’est quand même à une belle résignation qu’on assiste là ! Cette idée du « bon bah après tout c’est comme ça. C’est triste mais il faut l’accepter. »


Pour le coup Bong Joon Ho livre un propos incroyablement conservateur, se réduisant à un simple constat, à mille lieues de la passion révolutionnaire et sanglante de son compère Park Chan Wook.


Or, pour le coup, cette démarche discursive ne pose pas souci qu’au dangereux gauchiste que je suis, elle perturbe aussi le cinéphile. Parce qu’au fond, la mécanique a beau être belle et huilée, elle tourne un petit peu à vide dans la mesure où, au lieu de creuser une situation, « Parasite » s’arrête au simple constat enrobé de symboliques assez lourdes. Tout est d’ailleurs finalement à l’image de cette grosse pierre allégorique que Min offre à la famille de « Kevin ».


Min est celui qui fait rentrer tout ce petit monde dans ce grand jeu de parasitage social. Il est celui qui est à la fois l’initiateur de l’ascension puis celui de la chute.
Chute qui entraîne l’hécatombe familiale au point qu’elle suscite chez le héros un rire autant chirurgical que cynique.
Le rire de celui qui a compris qu’en définitive il aurait encore mieux fallu ne pas lutter socialement. Un rire causé par le fracas de cette même pierre symbolique. Celle qui lui est retombée sur la face et qui finit au fond de l’eau, là où est sa place.


Cette pierre est certes bien ouvragée, elle sait nous coller à la peau, mais au fond elle ne reste qu’une grosse pierre un peu lourde alors que moi, spectateur, j’étais un petit peu comme le personnage de la mère : j’attendais qu’on m’offre quelque-chose à me mettre sous la dent.


Du coup tant pis. Je me suis contenté d’admirer la finesse de l’ouvrage à défaut d’admirer la finesse de la vision. Parce que, oui, malgré une certaine déception je n’en perds pas pour autant l’essentiel : au jeu des Palmes cannoises, au moins celle-ci a su mettre en avant ce qu’il y a de plus précieux dans un film : le cinéma.

Créée

le 6 juin 2019

Critique lue 2.4K fois

40 j'aime

18 commentaires

Critique lue 2.4K fois

40
18

D'autres avis sur Parasite

Parasite
AnneSchneider
8

La maison fait le moine...

La septième réalisation du monumental Bong Joon Ho est fréquemment présentée comme une critique acerbe des inégalités qui minent la société coréenne. La lutte, d’abord larvée et de plus en plus...

le 2 juin 2019

273 j'aime

37

Parasite
Vincent-Ruozzi
9

D'un sous-sol l'autre

La palme d'or est bien plus qu'une simple récompense. C'est la consécration pour un réalisateur ainsi que pour le cinéma qu'il représente. Il faut voir les discours de ces derniers qui, émus, avouent...

le 29 mai 2019

230 j'aime

30

Parasite
Larrire_Cuisine
5

[Ciné Club Sandwich] Lisez le premier paragraphe avant de nous insulter parce qu'on a mis 5

DISCLAIMER : La note de 5 est une note par défaut, une note "neutre". Nous mettons la même note à tous les films car nous ne sommes pas forcément favorable à un système de notation. Seule la critique...

le 4 juil. 2019

166 j'aime

23

Du même critique

Tenet
lhomme-grenouille
4

L’histoire de l’homme qui avançait en reculant

Il y a quelques semaines de cela je revoyais « Inception » et j’écrivais ceci : « A bien tout prendre, pour moi, il n’y a qu’un seul vrai problème à cet « Inception » (mais de taille) : c’est la...

le 27 août 2020

238 j'aime

80

Ad Astra
lhomme-grenouille
5

Fade Astra

Et en voilà un de plus. Un auteur supplémentaire qui se risque à explorer l’espace… L’air de rien, en se lançant sur cette voie, James Gray se glisse dans le sillage de grands noms du cinéma tels que...

le 20 sept. 2019

207 j'aime

13

Avatar - La Voie de l'eau
lhomme-grenouille
2

Dans l'océan, personne ne vous entendra bâiller...

Avatar premier du nom c'était il y a treize ans et c'était... passable. On nous l'avait vendu comme l'événement cinématographique, la révolution technique, la renaissance du cinéma en 3D relief, mais...

le 14 déc. 2022

161 j'aime

122