C'est toujours un peu le problème avec ces titres pour lesquels on a tellement crié au chef-d'œuvre que l'attente est inévitablement très grande. D'ailleurs, j'avoue que durant la première heure, mes attentes ont été comblées : que ce soit dans la mécanique brillante du scénario, son écriture, la façon de révéler le caractère des différents protagonistes, le tout en livrant une subtile lutte des classes où les nécessiteux n'ont rien de pauvres victimes désignées, sans pour autant idéaliser les nantis (ni les caricaturer), le résultat est magistral. Bong Joon-ho a dédié sa Palme d'or à Claude Chabrol et Henri-Georges Clouzot : cela se sent, le cinéaste coréen surpassant même à de nombreux égards le premier par son ton cinglant et sa science du récit. Les idées et les scènes jubilatoires s'enchaînent quasiment jusqu'au vertige, à l'image d'un humour aussi noir qu'omniprésent.
Intervient alors la retour de l'ancienne gouvernante, amenant l'œuvre dans une direction totalement différente. Ce qui fait sa force et sa faiblesse : d'un côté, cela permet de renouveler totalement le scénario et de le rendre encore plus imprévisible, la violence et la folie s'emparant de l'œuvre, offrant de nouveaux moments mémorables. De l'autre, tout ce qui m'avait tant plu jusqu'alors, cette logique implacable filmée avec maestria, m'a semblé s'échapper vers une démarche plus répétitive, très exubérante au point d'en être parfois fatigante, voire légèrement soûlante. J'aurais même pu songer à revoir ma note à la baisse s'il n'y avait pas eu cette dernière ligne droite offrant un nouveau tournant cinglant et sauvage, non dénué d'une étrange poésie, amenant vers un dénouement d'abord
d'une étonnante douceur poétique pour conclure de la plus cynique des manières.
Ainsi, je ne vous cacherais pas que je suis sorti de la salle légèrement frustré, mais plus les jours passent, plus j'apprécie cette leçon de mise en scène, cette première heure implacable, cette opposition si singulière, ces personnages mémorables et donc ces derniers instants jubilatoires. Génial ? Je ne sais pas. Peut-être. Virtuose et incontournable en cette année cinématographique désespérante? Assurément.