Le vieux et le nouveau continent
Paris ... Texas. Europe ... Amérique. Ca tombe bien, Wim Wenders est allemand et il offre un regard neuf et original sur les Etats-Unis. Un regard fasciné qui se traduit d'abord par une profonde déférence envers la majesté des badlands américains, magnifiés ici par une photographie qui joue sur les couleurs façon Nouvelle Vague : vert, rouge, jaune, autant d'indices poétiques et lyriques disséminés un peu partout dans le film. Mais la fascination est teintée d'une très légère ironie, reflétée par une mise en scène sur la brèche du loufoque : contre-plongées inattendus et surprenantes centrées sur les visages déconfits de Travis ou de Walt, attention particulière portée aux détails triviaux (cf le gros plan sur la main de Travis qui ferme sa bouteille), et références au soft power US avec des placements de produits sarcastiques placés au hasard (Marlboro, Avis ...etc). C'est ce qui permet au cinéaste allemand d'accoucher d'un grand film sur l'Amérique, vue à travers les yeux d'un européen. En premier lieu, en tous cas.
La première partie du film mélange à merveille les influences américaines et européennes du film : Wenders filme les paysages américains comme le ferait un John Ford dans un western classique, mais en y incorporant une patte d'humour absurde pince-sans-rire plutôt frenchy. La gravité du sujet est contourné par le burlesque et la dérision.
Dans un deuxième temps, le film se fait aussi plus intimiste, et le road-movie le cède à la subtile et mystérieuse fresque familiale. Wenders perd alors en humour et en second degré ce qu'il gagne en sensibilité et en authenticité. Toutes les situations, et c'est là d'où réside toute la beauté et l'émotion du film, sont étonnamment vraies et sublimes : les retrouvailles entre paternel et progéniture, le super-8, l'amour constant de Travis pour Jane. Une douce mélancolie plane sur Paris, Texas, une nostalgie taiseuse et silencieuse. Parce que le film n'a aucunement l'intention de faire chialer dans les chaumières, à grands renforts de mélodrame et de violons. C'est même tout le contraire : Wenders fait dans la sobriété et si t'es pas content, c'est le même tarif. Seules quelques notes de guitare viennent égrener le rythme contemplatif et lancinant du film.
Ce qui ne l'empêche pas d'être absolument bouleversant, précisément parce que l'on a envie d'y croire, que le film est suffisamment pudique pour dévoiler l'émotion sans l'exacerber artificiellement. Et bien sûr, ces trente dernières minutes ... Parlons-en sans trop spoiler ! Je dirais juste que c'est un sommet de véracité cinématographique, d'une beauté à faire pleurer n'importe qui ... Et moi le premier ... Mais bien sûr, sans jamais taper dans la vulgarité.
C'est là tout l'équilibre harmonieux sur lequel repose le film.