Après 4 années d'errance, Travis est retrouvé par son frère au beau milieu du désert. Dans la première partie, ces deux personnages rentrent en voiture chez Dean, alors que Travis est mutique et désorienté. Les road trip movies sont censés représenter la liberté du rêve américain, mais ici c'est plutôt le reflet de l'isolement d'un homme en marge, parce que fuir ne peut mener qu'à l'oubli, à la solitude et à l'immensité muette.
Rattrapé par les fantômes de son passé imagés par des vidéos de vacances, il essaye peu à peu de se réincarner dans le rôle qu'il avait auparavant. En effet, il a abandonné son fils qui a maintenant 8 ans et qui vit avec Dean et sa femme Annie. Leur relation père-fils, développée dans la deuxième partie, est très douce et touchante, d'abord hésitante puis fusionnelle. Travis essaie de se repentir en devenant cet archétype du patriarche américain, en se faisant aider par Carmelita. En tentant d'habiter le costume de père, Travis échappe une fois de plus à qui il est vraiment. C'est le tableau d'une famille déchirée, où l'enfant est perdu entre le conflit des adultes à son sujet. Annie aimerait qu'Hunter reste avec elle et Dean, tandis que Travis part à la recherche de ce qu'il a perdu, nostalgique des moments à la mer où ils semblaient tous si heureux. Mais il manque encore quelqu'un à cette famille nucléaire idéale : Jane, son sourire et ses cheveux qu'on aperçoit à peine sur les cassettes, et le mystère qui plane sur leur passé. Accompagné d'Hunter, Travis part donc à sa recherche à Houston et découvre qu'elle travaille dans un peep-show. C'est une toute autre ambiance, et donc une toute autre facette des Etats-Unis qu'on découvre ici.
Il peut la voir et elle non, comme s'ils ne se rencontraient jamais vraiment. Pendant cette dernière partie, la plus belle pour moi, c'est le passé qui revient. On ne saura jamais vraiment comment il a survécu pendant 4 ans dans cette transe vers nulle part, ni ce qui adviendra de lui à la fin lorsqu'il disparaît une seconde fois. On sait simplement qu'il a changé, et c'est d'ailleurs surprenant de l'entendre se dépeindre lui-même (dans une mise en abime tellement bien trouvée) comme un abuseur impulsif, alcoolique et jaloux. Après cette scène qui est l'une des plus poignantes que j'ai vues au cinéma, ils se font leurs adieux et Jane va retrouver son fils. C'est très sûrement la meilleure fin possible, même si elle porte à débattre. Pourquoi Travis n'essaie-il pas de renouer son couple avec Jane, sachant qu'il l'a hantée jour et nuit ? Est-ce qu'il est jaloux des hommes l'ayant fréquentée avec le peep show ? Est-ce qu'il n'est pas prêt à pardonner ses propres abus et la disparition de Jane ? Est-ce qu'il a peur des responsabilités ?
Et pourquoi Hunter ne reste-t-il pas avec son oncle et sa femme qui s'occupaient très bien de lui, plutôt qu'avec sa mère qui l'a abandonné car trop instable ? C'est tout l'irrationnel de ce qui survient dans les relations, l'inconstance de l'Homme et la profondeur des sentiments qui se manifeste par cette scène de retrouvailles dans la chambre d'hôtel tandis que Travis, seul sur le parking, les regarde avant de reprendre la route.
Pourquoi ce film est-il un putain de chef d'oeuvre intemporel ?
Tout d'abord pour l'esthétique. La vibrance des couleurs, ces scènes monochromes, ces jeux de lumières sont d'une beauté indescriptible. On retrouve le goût de Wim Wenders pour la photographie avec des plans travaillés comme des tableaux d'Edward Hopper. Rajoutons les solos de guitare sur ces paysages magnifiques et on a un voyage audiovisuel inoubliable.
Ensuite, pour les acteurs. Pour Harry Dean Stanton, Travis Henderson est sûrement le rôle de sa vie, et Nastassja Kinski incarne tout ce que doit représenter Jane : le déchirement, la sensualité, l'amoureuse, le mystère... La scène du miroir sans teint pourrait d'ailleurs être une métaphore du cinéma. A la place du client, nous payons pour voir cette femme performer, elle doit s'oublier pour incarner ce que le client désire. Mais en demandant si son regard est bien sur nous, elle évoque la difficulté de toucher juste, de faire fonctionner cette relation unilatérale. On pourrait aussi dire que ce regard qui peine à trouver le visage de Travis, c'est que même avec la plus grande proximité entre deux êtres, il y a toujours un néant qui peut tout faire s'effondrer.
Paris, Texas est donc un bijou à la portée universelle tout en étant un regard sur les Etats-Unis d'une époque, aussi riche que subtil.