Alain de Greef : "Ca va paaaaaas"
Il existe des personnes qui ont conscience d'un état de fait. En l'occurrence ici, la connivence entre les media et les politiques. On se doute bien, que les gens de la TV discutent avec les dirigeants du pays, mais de quoi et à quel niveau ? Quelles sont les influences de ces discutions sur la programmation des chaines et comment prouver formellement cette connivence ? C'est à partir d'un reportage commandé par Canal+ que Pierre Carles, pas encore rayé de la liste des réalisateurs consensuels, est embauché pour tourner un documentaire sur la télévision.
Il s'appuis sur une vidéo montrant un ministre discutant famille et business avec le directeur des programmes de TF1 de l'époque. Bien que ce document ne soit pas compromettant, il montre crument une forme peu avouable de lobbying. Il ne sera jamais diffusé à la télévision alors qu'il a été largement couvert dans la presse papier de l'époque. Pierre Carles pose donc cette question toute bête : pourquoi ce document a t'il été absent des écrans de TV ?
A partir de cette seule et unique question, Pierre Carles va découvrir bien malgré lui les limites de ce que l'on peut raconter sur le petit écran. Son thème de reportage "tabous et autocensure à la télévision française" allait être mis en pratique au delà de ses espérances. Bien que porté par les meilleurs intentions, celles d'une TV plus impartiale et honnête vis a vis de ses spectateurs, son reportage sera retoqué à plusieurs reprises par Canal+. Chaine qui, à l'époque, se présentait comme la plus indépendante et la plus rebelle du PAF.
Très prudent, le réalisateur a pris soin d'enregistrer ses conversations téléphoniques. Tout le reportage est ponctué de ces échanges entre lui, les interlocuteurs de Canal+ jamais a court de mauvaise foi, et certains de ses interviewés. On découvre à quel point, au dessous du vernis de la concurrence, les chaines sont capables de se serer les coudes lorsque l'on dévoile leur petits secrets savamment planqués aux yeux du spectateur. Ainsi, Pas vu pas pris est composé de plusieurs reportages montés et imbriqués. Il y a d'abord le dossier commandé par Canal+ que Pierre Carles avait réalisé à la base : "Pas vu à la TV". Ayant été refusé, puis remonté, puis refusé à nouveau, celui-ci a servi de base. A cela, s'ajoute l'histoire et le parcours chaotique de sa réalisation et de son hypothétique diffusion sur Canal+. Ca a donné naissance à : "Pas vu pas pris".
"Pas vu pas pris" est un reportage utile dans le sens où il montre et démontre, non pas que la télévision entretient des rapports incestueux avec les politiques, mais que pour être journaliste du petit écran il faut d'abord et avant tout savoir ne pas cracher dans la soupe et savoir occulter les sujets sensibles. Mention spéciale à Crhistian Blachas star des media qui est le seul à abonder dans le sens du reportage sans en avoir l'air. Il arrive même à faire comprendre sans rien dire et avec petit sourire en coin pourquoi le document incriminé n'a jamais été diffusé à la TV. Du grand Art pour ce monsieur disparu beaucoup trop tôt.
"Pas vu pas pris" est donc un solide dossier contre les pratiques douteuses de la TV , des "journalistes" stars qui y travaillent et qui y trient l'information. Le propos y est clair, bien structuré, simplement monté et sans artifice. Il est encore, bien malheureusement, d'actualité et reste un documentaire qu'il faut voir pour prendre conscience de la dérive de l'information telle qu'on voudrait nous la servir. Là encore, Wikileaks fait écho à "Pas vu pas pris" qui des années avant révélait que l'info telle qu'on la connait n'est pas servie de façon neutre. "Pas vu pas pris" reste l'un des trop rares reportages à donner un coup de pied dans la fourmilière en ne faisant aucune concession. A ce propos la fin est délicieusement ironique et conclue magistralement ce documentaire qui, décidément, est d'une rare qualité. Il démontre que certain, au prix de leur carrière ou leur réputation sont près à montrer ce qu'est vraiment le métier de journaliste et de documentariste.