"Le silence semble parfois le profond dialogue de ceux qui se comprennent."

Nous suivons l'histoire émouvante de deux enfants, Nora et Hae, à Séoul. Leur relation se tisse au fil de trajets silencieux en rentrant de l’école, où leur simple présence mutuelle semble combler tout vide sonore. Ces instants, chargés d’une complicité tacite, suggèrent un lien profond, peut-être amoureux, interrogeant ainsi le cœur même de l'œuvre. Leur monde commun se voit bouleversé lorsque Nora doit déménager, séparant ainsi les deux âmes pour de longues années.

L'adieu, tout comme leur relation, se fait avec sobriété : un 'au revoir' simple mais lourd de sens. Le film capture magnifiquement ce moment de séparation, à travers le contraste des chemins que vont emprunter les protagonistes. Hae continue de déambuler dans les ruelles étroites et ternes de la ville, symbole de sa vie ordinaire et sans prétention. Par contraste, Nora, promise à un avenir brillant, gravit un grand escalier orné de peintures, métaphore de son ascension vers une carrière artistique fulgurante et de sa quête obsessionnelle de réussite.

"Dans 'Past Lives' de Céline Song, la caméra ne se contente pas de capturer les scènes ; elle devient un participant actif, tendant littéralement la main aux personnages pour les guider dans leur quête personnelle. L'abondance de plans panoramiques n'est pas un simple choix esthétique, mais un élément narratif clé. Le terme 'panoramique' évoque l'idée d'une vue d'ensemble, d'une perspective globale, et c'est précisément cette sensation qui imprègne le film.

À travers ces panoramas, nous sommes invités à nous immerger dans les environnements des personnages, à observer silencieusement leur monde, à ressentir avec eux. Comme lorsqu'on regarde par la fenêtre d'une voiture en mouvement, les paysages défilant invitent à l'introspection, au recueillement, à une prise de conscience aiguë de nos sens. Cette immersion nous rapproche des personnages, nous permettant de vivre et de comprendre leurs émotions et leurs pensées les plus profondes.

Ces panoramas nous en disent tellement sur la psychologie des personnages, celui de Hae à une tendance à s’orienter à gauche, plongé dans son passé, incapable d’aller de l’avant, quelque chose le bloque, il n’évolue pas, et de l’autre côté, Nora elle va plutôt de la gauche vers la droite, d’un pas déterminé, elle est droite, clair dans ces objectifs, elle n’a jamais cessé de voir l’avenir et d’aller de l’avant.

"Douze ans après leur séparation, 'Past Lives' nous révèle l'évolution de Nora et Hae. Nora, devenue dramaturge, et Hae, étudiant en ingénierie, semblent avoir tracé des chemins diamétralement opposés. Le destin, en apparence, n'avait laissé aucune place à leurs retrouvailles – Hae s'ancrant dans la vie new-yorkaise et Nora s'enfonçant dans une existence typiquement coréenne, avec toutefois un désir latent de découvrir la Chine. La magie de ce film réside dans sa capacité à tisser un lien entre ces deux parcours divergents avec une finesse émotionnelle remarquable.

Qui d'entre nous ne s'est jamais interrogé sur le devenir d'un ancien camarade ? Cette curiosité va amener ces retrouvailles. La force du lien passé entre Nora et Hae éveille en elle une curiosité irrépressible. Grâce à Skype, ils parviennent à renouer contact via un appel vidéo, et c'est là que le film déploie toute sa maestria.

Leur conversation, dénuée de tout artifice, est un chef-d'œuvre de réalisme. Lorsque Nora initie l'appel, le spectateur partage son anxiété, sa curiosité dévorante. Et lorsque le visage de Hae apparaît, notre surprise est aussi authentique que si nous avions nous même retrouvé un vieil ami. Bien que ces personnages soient des créations, l'identification avec eux est si naturelle, si instinctive.

Le film évite les dialogues superficiels ou excessifs, préférant laisser les interactions se dérouler de manière organique, les échanges se font naturellement. Les questions posées sont simples, les silences en disent long, coupé par des rires nerveux – c'est le portrait de vraies retrouvailles, empreintes de gêne, d'excitation, et d'une familiarité retrouvée.

Le film continue de tisser le récit des retrouvailles de Nora et Hae, imprégnées de gêne, d'excitation, et d'une familiarité douce-amère. Après cette reconnexion, ils tentent de renouer comme avant, retrouvant aisément leur complicité. Cependant, la réalité s'impose rapidement : des ambitions divergentes, des situations de vie contrastées et des fuseaux horaires conflictuels rendent leurs interactions de plus en plus difficiles.

Dans une tournure poignante, Nora, réalisant que cette relation est devenue une obsession paralysante, prend la difficile décision de s'en éloigner pour pouvoir avancer dans sa vie. Cet adieu marque une nouvelle séparation, laissant entrevoir les défis de maintenir des liens à travers le temps et l'espace.

Douze ans plus tard, le film nous transporte dans une scène cruciale : Hae, toujours en proie à l'indécision et au désarroi émotionnel, décide de passer une semaine à New York. Son intention ? Renouer avec Nora. Mais le Hae que nous retrouvons est différent – toujours instable dans sa vie amoureuse, toujours en quête de résolution, en recherche d'un ancrage.

Nora, quant à elle, a parcouru un chemin radicalement différent. Elle s'est établie, épanouie professionnellement, menant une vie qui semble tout droit sortie d'un rêve. Elle a trouvé l'amour avec un écrivain américain rencontré dans une résidence d'artistes, et s'est mariée.

Cette juxtaposition des parcours de vie de Nora et Hae est le cœur du film. Elle explore non seulement les complexités des relations humaines mais aussi les choix de vie qui nous façonnent. La manière dont ces deux personnages naviguent à travers leurs regrets, leurs espoirs et leurs réalités divergentes offre une réflexion profonde sur les chemins que nous empruntons et ceux que nous délaissons.

'Past Lives' va explorer le concept d'inyeon, une force invisible qui semble guider Nora et Hae vers des retrouvailles inévitables. Le film suggère que leurs vies antérieures, et les relations qu'ils y ont entretenues, forgent leur présent. Ainsi, malgré les obstacles, ils se retrouvent encore, comme attirés par une force qui transcende la raison.

Leur relation complexe et indéfinissable est un fil conducteur du film. Même le mari de Nora, confronté à cette connexion insondable, admet son impuissance. Il remet en question la nature de leur amour, suggérant qu'il pourrait être le fruit du hasard, un simple élément parmi d'autres dans leur vie. Cette idée est renforcée par la confrontation entre le mari et Hae, marquée par une barrière linguistique et culturelle insurmontable, symbolisant les limites de la compréhension humaine face à des liens aussi profonds.

Le film culmine dans une scène poignante dans un bar, où les personnages principaux, isolés du mari à nouveau par la barrière de la langue, parviennent enfin à verbaliser leurs sentiments. Ils reconnaissent que leur rencontre dans cette vie pourrait être le résultat de liens passés ou la construction de leur future existence. C'est un moment de révélation, où les mots tentent de capturer l'inexprimable.

Cette scène finale est une représentation puissante de l'essence de "Past Lives" : la complexité des choix de vie, le poids du passé, et la manière dont nos chemins se croisent et se recroisent, tissés par des fils invisibles de destin et de circonstances. Elle laisse le spectateur avec un sentiment de mélancolie et de réflexion sur la nature éphémère mais intense des relations humaines, sur la façon dont elles façonnent notre vie et sur les traces indélébiles qu'elles laissent dans nos cœurs.

La réalisation de "Past Lives" par Céline Song, pour son premier long-métrage, est un exploit remarquable. Song a réussi à créer une œuvre qui, bien que délicate et subtile dans son traitement, résonne avec une puissance émotionnelle profonde et universelle.

Le film est un véritable bijou, c’ est une œuvre d'art cinématographique qui mérite non seulement d'être vue, mais également d'être ressentie. Tout comme l'amour qui mérite d'être vécu dans toute sa complexité et sa beauté, ce film est une expérience qui touche l'âme, et nous laisse sans voix en sortant de la salle.