"Mama put my guns in the ground / I can't shoot them anymore...
That cold black cloud is comin' down /
Feels like I'm knocking on heaven's door."
Un cowboy disparaît dans les ombres ; seul son reflet, ombre solitaire, avance sur un lac aux teintes crépusculaires, avant de disparaître dans les ténèbres et de laisser ressurgir, en contre-point, la silhouette réelle. Plus tard sa némésis disparaîtra dans un semblable coucher de soleil aux teintes rougeoyantes virant au pastel, image d'une douceur étrange pour l'homme qui, ayant accompli son destin, se retrouve dépourvu de sens.
Ce qui me frappe, dans ce western mélancolique, c'est de me contre-foutre de l'action ou d'une quelconque notion de tension narrative : peu m'importe la poursuite, seuls comptent les portraits qui se répondent et s'opposent, en miroirs parfaits.
D'un côté, la figure dionysiaque, enfantine, de Billy the Kid, dont les fusillades sont filmées comme de joyeuses parties de ping pong sans conséquence, dont le sourire bonhomme, désarmant, fait oublier les actes de violence. Perdu dans un présent où la durée n'existe pas, où seul compte le plaisir sous toutes ses formes (la tendresse d'une pute à réchauffer, la poursuite hilare de dindons qu'on attrape au lasso, une chanson que l'on fredonne d'une voix moqueuse en toisant, derrière les barreaux d'une prison, un public désarmé par l'outrecuidance insouciante du chanteur, un cheval dont on tombe pour avoir voulu impressionner la galerie, le whisky qui coule à flots, l'amitié virile et bourrue), Billy the Kid (excellent Kris Kristofferson) séduit, au-delà de la dangerosité de ses actes.
En face de lui, traqueur sombre, Pat Garrett (James Coburn, regard minéral, sourire déformé par les cigares, trogne qui se fait de plus en plus froide et violente, dévorée par sa moustache autant que par sa détermination) incarne la figure du temps qui passe, qui file vers une modernité douloureuse où la violence est sèche et brutale, où le joyeux temps de l'insouciance n'est plus, où les femmes se consomment cyniquement, comme on enchaîne les mégots et les verres. Seule demeure la cruauté d'un monde qui s'effrite et où l'utopie, mexicaine ou américaine, n'existe plus qu'à travers une photographie aux tons sépias qui se délave et laisse apparaître, entre deux teintes brunes, celle du sang qui sèche. Garrett l'obsessionnel porte en lui la décadence du rêve du Grand Ouest : si l'appel des grands espaces résonne toujours à travers quelques très beaux plans panoramiques, les promesses d'aventure et de renouveau que ces terres sans limite portaient disparaissent et se meurent - à l'image de cette poignante séquence où une femme contemple son mari mourir au bord du fleuve, alors qu'elle s'était plainte, quelques minutes avant la fusillade qui emporte celui qui, hébété, tient son ventre blessé, de ne plus aimer cette vie qui ne correspondait plus à ses rêves... plans poignants soulignés par l'apparition sublime de Knocking on heaven's door.
De cet affrontement entre deux "sensations" de l'espace & du temps surgit une mélancolie poignante, de celle qui accompagne la mort d'un mythe. Emotion décuplée par la voix élégiaque de Dylan (qui, non content d'être le ciment musical du film, est aussi ce personnage effacé, cet Alias qui permet, transparent et mystérieux, au spectateur d'assister en pleine empathie au crépuscule du temps du Western) : son timbre doux et mélancolique amplifie la sensation d'assister à l'écroulement d'un monde et de ses codes épiques, à sa lente dissolution à travers des accords et une photographie qui n'en finissent pas de conter, sous la douceur poétique apparente de l'ensemble, un sentiment de mort prégnant.
Un beau western mélancolique & crépusculaire.
Merci à mon western-senpai, pour la découverte.