Twin Peaks
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Le nouveau Jarmusch est un bijou d’un raffinement exquis, qui donne envie d’écrire des poèmes en mangeant des cupcakes, conduire des bus dans une bourgade du New Jersey, observer les chutes d’eau en lisant William Carlos Williams, aller siroter un demi dans le bar paumé du coin. Plus Jarmuschien tu meurs, tant Paterson pourrait être un croisement improbable entre Only lovers left alive et Stranger than paradise, une version encore plus sobre, apaisée et épurée. Un geste quotidien, mais jamais naturaliste. Où les jours se répètent autant qu’une étonnante bifurcation, chaque fois, s’immisce : Ici la rencontre avec une adolescente poète en herbe, là celle avec le poète japonais, williamsien. Des rencontres, toujours chez Jarmusch. Et même simplement parfois la rencontre des mots, puisque le personnage aiment beaucoup écouter les conversations de son bus, et s’en inspire probablement dans l’élaboration instinctif de ses proses.
Paterson est aussi bien le nom de la ville dans laquelle le film se déroule, celui du recueil de poèmes de William Carlos Williams, que celui du personnage, campé par Adam Driver. Il y a quatre ans je me disais en découvrant Girls qu’il finirait par être un jour partout, voilà on y est, mais je ne m’attendais pas à ce que sa filmo soit déjà si folle et déroutante que son personnage dans la série de Lena Dunham. La vie de Paterson est minimaliste et répétitive : Il se lève le matin avant 6h30, prend son petit déj de Cheerios, rejoint à pied le hangar de bus, écrit un peu avant de démarrer sa journée, conduit son bus, rentre chez lui retrouver Laura, sa femme, toujours encline à tester diverses recettes de cuisine, confectionner frusques et rideaux exclusivement en Noir et Blanc, puis file promener son chien la nuit, l’attache devant un bar dans lequel il boit une bière. Ce sont sensiblement les mêmes actions que l’on voit. Par exemple, on ne le verra jamais se brosser les dents, on ne le verra pas non plus rentrer chez lui du bar.
Paterson, le personnage, serait comme la réincarnation du poète ou bien l’incarnation de de ce que celui-ci est parvenu à transmettre, à créer d’autres William Carlos Williams, à ériger la routine en véritable puits créatif et poétique. Et pour alimenter cette inspiration, il faut un monde autour du piète, un monde autour de Paterson. Il faut Golshifteh Farahani (Sans commentaires, cœurs dans les yeux, je veux lui faire des câlins) merveilleuse incarnation du bonheur partagé. Un moment elle est nue sous la couette mais cette dernière, bien que lui recouvrant pieds et poitrine, laisse échapper un peu de sa hanche. Driver se réveille et l’embrasse dans le cou. Elle chuchote alors un « Cold » sur quoi il la borde entièrement, délicatement. Scène érotique de l’année, il m’en faut peu avec Golshifteh. Il y a aussi Marvin, le chien, un bouledogue, qui offre la meilleure prestation canine depuis celui de Tonnerre, de Guillaume Brac.
Paterson est un film en sept tableaux, comme autant de jours de la semaine. Chaque fois, le jour s’inscrit sur le réveil de Laura & Paterson. Chaque fois le jour se ferme sur un fondu au noir. Et chaque journée, si elle est empreinte d’un bonheur simple et d’une parfois discrète mélancolie, est guidée par l’humour, élégant au même titre que les divers costumes affublés à « Paterson » : Ville, livre, bus, personnage. Mais le running gag n’est jamais gratuit, il trouve systématiquement un écho ou bien une résolution, comme celui de la boite à lettres. Des idées vont à peine éclore puis revenir, mystérieusement, à l’image de la gémellité, des bus prêt à exploser, des boites d’allumettes qui font écrire – Alors qu’elles achevaient les contrats de The limits of control – ou de la récurrence du noir et blanc, cher à Laura, et que l’on retrouvera dans leur unique sortie ciné de la semaine : L’île du docteur Moreau. En noir et blanc, donc.
Déjà très envie de revoir ce film dans lequel il se passe à la fois Tout et Rien, dans lequel on s’y sent comme dans un plaid au coin du feu, dans lequel la routine est plus harmonieuse et attirante que les agitations des scénarios hollywoodiens habituels, le rituel plus exaltant que le coup de théâtre. Etrange le retour dans le vrai monde après, on plane, on se sent bien, c’est un peu comme d’aller au boulot juste après avoir fait l’amour.
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Créée
le 21 janv. 2017
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