Twin Peaks
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Je m'appelle Paterson. Je suis né, je vis et je bosse à... Paterson. Je sillonne la ville au volant du bus que je conduis. Du lundi au vendredi, j'en traverse tous les quartiers. Multiculturels, rouillés, industrieux démantelés. Parfois coquet.
Jim Jarmusch met en scène ma vie routinière comme une immense répétition, inlassable et presque dénuée de surprise. Pas besoin de réveil, j'ouvre les yeux au moment même où les aiguilles de ma montre magique pointent six heures quinze. Je prends Laura dans mes bras. Ou je la caresse dans son sommeil. Ou je me perds encore dans sa beauté exotique. Puis je me lève pour prendre le même quart de céréales, avant de partir au travail, ma lunch box à la main. Avant démarrer le bus, je noircis quelques pages de mon carnet secret. Avec des mots. Ceux que je n'utilise pas pour communiquer.
Puis je salue Donny et lui demande comment il va. Sans surprise, il me fait part de ses misères. Et la journée de travail passe. Toujours le même itinéraire empruntés, les mêmes quartiers de la même ville qui s'anime mais qui semble mourir à petit feu. Puis je rentre à la maison, pour partager quelques moments avec Laura, avant de promener le chien et de terminer dans le même bar que d'habitude, retrouver le Doc'.
Toujours le même enchaînement de scènes. Toujours les mêmes plans, Jim Jarmusch semble soumettre ma vie à un immuable recommencement, au lointain goût d'Un Jour Sans Fin. Cette routine a tout de l'aliénant et je semble en avoir pris mon parti. Comme si j'avais conscience que je n'avais aucun pouvoir de changer les choses. Mais à l'intérieur de ce carcan, même si l'image des jumeaux se fait récurrente, il y a, si comme moi, vous y portez attention, quelques subtils changements. Comme la photo d'elle, chaque fois différente, que Laura colle sous le couvercle de ma lunchbox. Car dans le bus, ces discussions de commères se transforment parfois en mensonges entre amis, pour affirmer leur sex appeal. Ou c'est le jour suivant des adolescents qui discutent anarchie et se tournent autour. C'est aussi ce vieux car qui tombe parfois en rade en plein service. Ou enfin ce sourire quand un acteur raté, dans mon bar érigé comme repaire, s'éprend d'une fille qui le rejette. Ce sont enfin ces rencontres inopinées, avec de jeunes poètes, qui crée et font part de leur vie intérieure sans arrière pensée.
Ma vie, je semble quand même l'aimer comme elle est, sécurisante et rassurante. Mon carnet secret me permet de m'évader. De m'attarder sur des choses minuscules et a priori sans intérêt, qui confinent pourtant à une poésie des petits riens qui en disent beaucoup plus sur ma sensibilité et on amour pour Laura que les mots rares que j'échange. Et Laura... Avec elle, pas le temps de s'ennuyer. Elle qui rêve encore sa vie de mille possibilités, sur une lubie ou un coup de tête. Elle est tour à tour vendeuse de cupcake, cuisinière plus ou moins émérite ou chanteuse de country. Elle se réveille et peint en noir et blanc les rideaux du salon. Je ne sais jamais à quoi m'attendre avec elle et c'est certainement pour cela que je l'aime si fort. Et aussi parce qu'elle a les traits de Golshifteh Farahani, beauté orientale troublante et girl next door adorable et pétillante.
Elle est la fan number one de mes poèmes que je ne lui lis qu'avec réticence. Elle me pousse à partager que je trouve d'un commun à pleurer, comme tous les artistes. Son enthousiasme est parfois encombrant. Alors que je ne suis que calme et introspection parfois ténébreuse. Car je suis simple et me contente de peu. Elle est exubérante et parfois enflammée. Les contraires s'attirent.
Jim Jarmusch filme l'humanité de la vie que je mène sous ces aspects les plus tendres et les plus simples, décrit l'envie d'évasion de manière extrêmement juste et pertinente. Même s'il le fait en ne racontant, finalement, pas grand chose et sans renouveler son concept de base. Je me montre nonchalant, mais j'arrive quand même à séduire le spectateur qui s'aventure dans ma petite vie bien réglée. Il me questionnera aussi certainement sur certains de mes actes supposés pour rompre avec ma condition de poète dans une ville où la figure la plus connue s'illustre aussi dans cet art. Avant de repartir d'une page blanche et alors qu'au dimanche succède le lundi.
Les aiguilles de ma montre magique montrent six heures un quart. Je caresse les cheveux de Laura en me disant intérieurement que je l'aime. Il est temps de me lever et de prendre mon quart de céréales. Une nouvelle semaine commence...
Behind_the_Mask, qui écrit finalement toujours à peu près la même chose. A peu près.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Une année au cinéma : 2017
Créée
le 18 janv. 2017
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