Patlabor
6.9
Patlabor

Long-métrage d'animation de Mamoru Oshii (1989)

Ceci est une analyse personnelle du premier film, si vous ne l'avez encore vu , je vous conseille fortement de ne pas la lire.


Avant d'accoucher des deux longs métrages, chefs d'œuvre d'animation pour adultes, la licence Patlabor s'est vue décliner sur des multiples supports. Tout d'abord, Masami Yuuki créateur du concept original, l'est également du manga qui a vu naître l'engouement pour cet univers si particulier. Pour la première fois dans le genre, les « mechs » (robots), nommés ici « labors » ont été dessinés et conçus pour respecter un degré de réalisme jamais atteint pour l'époque, ayant ainsi la faculté de parfaitement se confondre dans l'environnement urbain et industriel de ce monde uchronique. Ces robots humanoïdes ont, en fonction du modèle, une utilité propre. Il y a par exemple : des labors conçus pour la construction d'édifices, des amphibiens adaptés aux interventions sous-marines et d'autres encore spécialisés au combat. Ces derniers sont utilisés aussi bien par l'armée que par la police.

Les principaux protagonistes sont quasiment tous des policiers de la Seconde Section des Véhicules Spéciaux, se servant de labors de combat pour le maintien de l'ordre et de la justice, celle-ci étant commandée par Kiichi Gotoh, quadragénaire nonchalant et mystérieux.

Articulé autour de l'archipel japonais et en particulier de Tokyo, le contexte spatiotemporel tel qu'il nous l'est présenté dans cette franchise peut aisément s'apparenter à celui que l'on connaît aujourd'hui. Cependant, dans ce présent alternatif, les pôles ont disparu, conséquence du réchauffement climatique. Le Japon sévèrement touché par l'élévation du niveau des eaux a élaboré une entreprise titanesque, le projet Babylone. Celui-ci consiste à construire des îlots artificiel le long des côtes afin d'élargir les zones habitables de l'archipel qui ne peut faire face à cette croissance démographique exponentielle. Ce grand projet, porteur d'espoir pour tout un pays, répond aux craintes actuelles des habitants qui s'entassent les uns les autres dans des appartements identiques et minuscules, synonyme d'une réponse unique à tous les problèmes d'un peuple.


Dominance dogmatique

Les deux films Patlabor s'articulent autour de plusieurs axes de réflexion semblant distincts dans leurs concepts respectifs, mais, pourtant intrinsèquement liés par nos interrogations quant au divin. En effet, il n'y a ni manichéisme évident ni ton moralisateur. Chacune des parties présente protégeant ou combattant pour ce qu'elles jugent digne de l'être, agissant ainsi par conviction de ce qu'incombent leurs croyances personnelles. C'est pourquoi nombre de fois sont cités sans tendre vers l'excès ou la facilité, des passages de la Bible, de l'Ancien Testament ou encore de la Genèse. Cette analyse approfondira principalement les interprétations possibles qui en découle non, par désir subjectif, mais, par causalité dogmatique.

PATLABOR LE FILM

L'oubli par l'expansion


Pour grignoter chaque jour un peu plus de place les hommes construisent des tours aux multiples baies vitrées reflétant le ciel et la ville tels des regards privés de leur propre lumière. Bâties à un rythme infernal, se ressemblant toutes, la suivante toujours plus haute que la précédente, on peut ressentir à travers ses œuvres la volonté des hommes de pourfendre les cieux, non pas pour se rapprocher du divin mais pour outrepasser son omnipotence. Ainsi, par cette uniformisation monolithique l'humanité se confond dans ce désir inavoué d'avidité pour ne former qu'une ombre éphémère d'un avenir déjà désuet. Pourtant certains quartiers, autrefois surpeuplés par le prolétariat sont maintenant en ruines et inlassablement détruits. De ce chaos pollué par les vrombissements des véhicules de déconstruction se dégage pourtant une douce tranquillité, comme si l'inconscient collectif dans son expansion incontrôlée se souvenait malgré lui d'un temps ancien où leurs aïeux s'étaient sacrifiés pour donner un sens à la vie des générations futures. C'est de la confrontation entre l'immuabilité de l'esprit d'un peuple et le progressisme technocratique d'aujourd'hui que nait contre toute attente ce sentiment de paix réelle. Cet instable équilibre tend pourtant à disparaître, les souvenirs d'hier étant profondément enfouis pour se substituer à une expérience versatile d'un présent aussitôt révolu.


Uniformisation mondiale ou destin commun programmé

Nos sociétés contemporaines convergent chaque jour un peu plus dans un tout déshumanisé où l'être humain voit son importance diminuée parallèlement au mépris grandissant qu'il a de la nature. Le « malin » de cette épopée, Eiichi Hoba, chercheur et informaticien de génie, est le créateur du système d'exploitation « HOS »(Hyper Operating System) qui équipe la quasi-totalité des labors. Celui-ci, convaincu de ce succès programmé, se suicide avant la réalisation de son plan machiavélique pour fatidiquement devenir l'ennemi posthume de cette humanité. Il a la profonde intention de punir les hommes de ce détachement invariable par un cataclysme artificiel. C'est par un virus se cachant dans les tréfonds de l'HOS, qu'il compte infliger cet ersatz de châtiment divin. Un Cheval de Troie se libérera en temps voulu afin d'animer les labors d'une intention commune destructrice. Il est d'ailleurs nommé « Babel » en référence à la tour éponyme de Babylone qui symbolisait la volonté des hommes à ériger un édifice qui atteindrait les cieux, donc le royaume de Dieu, sous le couvert d'une uniformisation outrancière. L'analogie avec l'informatique n'est pas fortuite, en effet, chaque programme est conçu dans un langage spécifique. E.Hoba est donc l'initiateur indirect et le destructeur de cette désharmonie, tout comme l'a été Dieu pour Babylone. Fort de ce paradoxe, il s'autorise seul à juger l'humanité pour ses dérives. L'uniformisation par l'informatisation n'est ainsi que le reflet et la résonnance de celle notre civilisation, si ce n'est son vecteur principal.


Fruit ou légume

Depuis des millénaires les hommes transmettent leur profonde conviction définissant le langage comme facteur essentiel d'une compréhension mutuelle et par conséquent de la condition sine qua non de leurs appartenances à l'humanité. Pourtant, il est souvent source de conflits par sa mésinterprétation ou l'imperfection viscérale de celui-ci. Mamoru Oshii utilise plusieurs fois, non innocemment mais avec discrétion, une symbolique caractéristique des différends y prenant source. En effet la tomate y est représentée à plusieurs occasions et utilisée dans son but et son essence premier, c'est-à-dire en tant qu'aliment nutritif. Néanmoins, nul n'ignore qu'elle est l'objet depuis des décennies de débats douteux concernant sa classification. Par cette métaphore incongrue mais pourtant pertinente il nous invite donc à nous questionner de la réelle utilité de ces discussions souvent vaines. L'important ne réside-t-il pas dans le fait qu'elle nous permet de subvenir à nos besoins naturels après l'avoir cultiver avec patience ?. Ainsi cette question rhétorique est aisément extrapolable au concept du langage dans sa globalité. L'ironie de cette thématique est d'ailleurs encore plus accentuée quand Gotoh revient sur le passé d'Hoba. Il nous apprend que pendant ses études il était surnommé « Jéhovah », comme Dieu dans l'ancien testament, or cette appellation est une erreur de prononciation qui a pourtant persisté depuis des millénaires, ainsi, même Dieu, l'absolu spirituel de tous les peuples voit son nom dénaturé par le langage des hommes. On en vient donc à douter du versant fédérateur du langage, celui-ci apportant en définitif un rôle déstructurant malgré sa nécessité indubitable dans nos sociétés dites « civilisées ».


Résonance prophétique

En marge du projet Babylone, sur l'océan au large de Tokyo, gît l'Arche, monument aux proportions pharaoniques. C'est au sein de cette plate-forme maritime qu'est assemblée la majorité des labors, cette usine autonome est construite à leur échelle comme si l'homme n'y avait pas sa place et qu'il n'était là que pour observer l'hégémonie de celle-ci. Si elle porte ce nom à forte connotation biblique ce n'est pas un hasard, car, en plus de symboliser la nouvelle tour de Babel dans toute sa froideur architecturale et technologique, elle demeurera après le déluge programmé le dernier vestige de notre vanité. Son rôle sera d'ailleurs déterminant dans la réalisation du projet d'Hoba, elle servira d'amplificateur à la résonnance des bruits du vent. C'est par les hautes fréquences que le virus Babel s'activera dans l'HOS de chaque labor. La structure particulière de l'Arche, démultipliant exponentiellement la portée des ultrasons, provoquera une réaction en chaîne profitant ainsi de l'écho des autres édifices. L'œuvre met en exergue, par la notion de résonance, les répercussions néfastes sur l'environnement que suscitent nos sociétés de consommation sur l'autel de la croissance. Ainsi, Hoba ne sera pas la source de la catastrophe mais le catalyseur d'une fatalité « prophétisée ».


Oiseau de mauvais augure

Les volatiles dans le long métrage tiennent une place fugace mais néanmoins prépondérante dans son étendue, tel un vol d'oiseaux qui devant nos yeux et en un instant s'évanouit, ne laissant qu'à même le sol des plumes et un épais brouillard de poussière, preuves ineffaçables de leur passage fulgurant. Eiichi Hoba préférait les maintenir en cages par dizaines les privant ainsi de ce pourquoi la nature les avait fait. Allégorie du désir des hommes de s'envoler inextricablement vers les cieux, ce pouvoir liberticide qu'il imposait aux oiseaux il veut maintenant l'infliger aux hommes. Certes, ils ne sont pas nés avec des ailes mais ont pourtant des ambitions qui supplantent leurs fonctions naturelles. Il est d'ailleurs troublant de constater que la représentation animale d'Hoba est le corbeau, obscur charognard. Cette espèce est perçue par la plupart des peuples dans leur croyance et leur mythologie respective comme un oiseau de mauvais augure. Dans le calendrier babylonien, le corbeau régit le 13ème mois craint par superstition, néanmoins dans la Genèse il symbolise la perspicacité, vérifiant si la terre réapparait après le déluge. Or s'étant donné la mort en se jetant de l'Arche vers les profondeurs de l'océan, le sourire narquois et le regard perçant, comment pourra-t-il contempler son œuvre dévastatrice une fois celle-ci achevée ?. Au point culminant de l'Arche et au moment où le déluge est presque effectif, Mamoru Oshii accable davantage cette figure métaphorique en l'ornant du badge de E.Hoba, codifié « 666 », le nombre du malin. C'est une des rares scènes dans la filmographie du réalisateur où l'on peut percevoir explicitement un anathème de sa part, celui-ci préservant généralement notre libre arbitre et l'ouverture d'esprit indispensable aux interrogations objectives quant à la thématique abordée. En comparant Hoba à Satan, Oshii répond à la précédente question, c'est en effet dans l'éternité des ténèbres qu'il pourra à loisir se délecter de la punition infligée aux hommes.


Substitution illégitime

Ce rapprochement équivoque semble au premier abord quelque peu exagéré. En effet, n'a-t-il pas fomenté tout cela en raison de l'aveuglement de ses semblables avançant inexorablement vers leur propre chute. Son intention n'est-elle pas d'imposer un monde nouveau lavé de tous les péchés de l'humanité où la nature reprendrait ses droits. Si Oshii a délibérément pris position là où on s'attendait pourtant à des interrogations, c'est malignement pour mettre en lumière toute l'incohérence de l'entreprise démoniaque de Eiichi Hoba. En jugeant l'homme de son propre chef et malgré les limites de son propre esprit, il s'est substitué à Dieu, tout comme Satan se rebella contre son créateur. Si ce jugement illégitime n'a aucune raison d'être, il parait donc logique et naturel de le contrecarrer. Dieu ayant doté l'homme du libre arbitre, ce dernier a donc pour obligation d'empêcher les exactions de ses congénères. C'est ainsi que les forces de l'ordre de la Seconde Section, menées par l'énigmatique Gotoh, défenseurs d'une justice vertueuse, conscientes des limites de leur condition et perspicaces quant au devoir d'être humain que cela suppose, sont prêtes à sacrifier leurs vies pour cette mission. Mamoru Oshii a la réputation à travers ses œuvres de faire preuve d'un pessimisme excessif quant au cheminement que l'humanité suit invariablement, celui-ci annonciateur d'un avenir sombre où l'espoir en la vie se meurt inéluctablement. Cependant, ces chevaliers des temps modernes, dorénavant équipés d'armures cybernétiques et de revolvers (succédant ainsi aux cottes de maille et aux épées des temps anciens), parviennent à démanteler l'Arche, facteur déclencheur du déluge artificiel. Une fois cette Tour de Babel détruite, ses ruines laissent finalement entrevoir six piliers auparavant imperceptibles. De ceux-ci on peut s'amuser à émettre des analogies hypothétiques, telles que par comparaison ils peuvent s'apparenter aux six piliers de la foi dans le Coran, base d'une vie vertueuse, ou encore à la création du monde en six jours telle qu'elle est décrite dans la Genèse, symbole de perfection. Ainsi qualifier Oshii de pessimiste est malvenu dans le sens où il manifeste sans circonspection son espoir indéfectible en la justice et la vertu. Par cette thèse dogmatique, il nous suggère donc tacitement, à l'instar de la Seconde Section, de cultiver, sereinement et paisiblement, son jardin sans se soucier pour autant du « fruit » de son labeur.
Mehdi-Ouassou
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le 17 mai 2011

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