S'il y a quelque chose qui m'indiffère autant que les films de guerre, ce sont bien les biopics. D'emblée, à la simple évocation du genre, je n'suis ni attiré, ni même intéressé. Je ne saurais trop comment expliquer cette honteuse réaction, peut-être par une impression de récit trop étriqué dans son cadre historique, de restriction de libertés, d'absence potentielle de surprise, d'idée farfelue d'un probable documentaire stylisé et tronqué. Quoi qu'il en soit, voilà une oeuvre tout à la fois biopic et film de guerre qui m'a grandement séduit et ne pas l'avouer sur ces quelques lignes eut été peu fair-play.
Avant tout, petite précision sur mes connaissances en la matière. Bien qu'adorant jadis les cours d'Histoire divulgués aux différents stades du parcours scolaire, mes intérêts étaient bien trop captivés à la fois par une Histoire racontant le bien avant de l'apparition de l'être humain sur le caillou bleu et une autre Histoire amplement concentrée sur le sujet artistique classique pour m'enorgueillir aujourd'hui d'une connaissance précise du sujet ici traité. Bien au contraire d'ailleurs, ce ne sont que les souvenirs de mes profs les plus sympathiques et de ma collection de chars d'assaut modèles réduits qui m'aident aujourd'hui à replacer le personnage mythifié, et ce sont donc les mots d'un inculte en la matière, certes désolé mais tout d'même bien trop impressionné par le film pour fermer sa gueule à son propos.
Ça fait quelques temps maintenant que j'ai vu ce film, mais je n'peux oublier le regard délavé de ce putain d'acteur possédé par son rôle, incarnation parfaite d'un réincarné, cillant à demi de la paupière en diffusant pesamment le cynisme écrasant de la certitude obstinée.
Le bonhomme est froid, glacial, aussi métallique que les chenilles de ses chars, et infiniment plus puissant. Il embaume l'air d'une lueur mystique et intangible, saisissant les entrailles par le poing et serrant l'homme jusqu'à l'assèchement de ses peurs les plus tenaces pour ne garder qu'un guerrier dégangrené, mécanique et dévoué. Patton est un fauve en cage attendant d'être lâché dans l'arène. Une arène de mutilations, de sang et de gloire qui fait la moelle de sa vie et le terreau de sa légende.
Un homme âgé, vieillard aliéné engoncé dans un uniforme de seconde peau, entraînant dans ses pas témérairement assurés la marche d'une Histoire aux portes des ténèbres.
Et c'est ça avant toute autre chose qui m'a rendu ce récit terriblement captivant. L'idée hideuse d'un dieu de la guerre déchaîné, lancé dans ses inexorables convictions. Un homme empreint de mythe, de légende, un homme d'un autre âge, un vestige d'une collection d'époques et de temps, de lieux et de mondes, traversant les pages du livre de la vie comme un stratège improbable et meneur sanguinaire, livré au petit bonheur d'une armée à une autre, s'y adonnant jusqu'au trépas avant de retourner dans son sommeil attendre sa prochaine bataille.
L'alchimie d'une mise en scène sobre et solide par un Schaffner fidèle à lui même et de George C. Scott, incarnant ce qui prend valeur de mythe avec l'apparente aisance de la simple et désarmante imprégnation, suffit à propulser cette histoire aux sommets du genre. Le général est taillé au burin dans une glace antédiluvienne, mélange de roc fossilisé et d'insaisissable mysticisme, rendant crédible n'importe lequel de ses actes, aussi impensables soient-ils.
Le réalisateur fait ses choix et se permet quelques largesses en remaniant ce conte de glace perlée d'écarlate et gravant la simple rumeur dans le fait historique, laissant le vieil homme seul faire face à un avion allemand toutes mitrailleuses dégobillantes, et restant dans un miracle debout, indestructible, au milieu d'un sol criblé de balles et nappé de poussière.
Scott devient Patton et lorsqu'il dit "Mais j'étais à Austerlitz, j'y étais.", on a d'autre choix que d'y croire. Et lorsqu'il se tient face à une armée de tanks, stratège de génie et sourire en coin face à un rempart de métal mouvant, on a presque un peu de compassion pour l'avenir tragique des blindés esseulés.
Si Scott est entouré de personnages secondaires interprétés par des acteurs tout à fait remarquables, il s'impose comme pilier central, retenant dans son regard gelé une bonne partie de l'attention, faisant de son rôle l'incarnation de la guerre elle même, donnant à cette sanglante bataille ses traits homériques, désastre personnifié trouvant sa conclusion aussi brutalement qu'il était né.
Rien ne me poussait vraiment à découvrir ce film, si ce n'est que le nom de Schaffner m'est définitivement très sympathique et que la musique de Jerry Goldsmith tournait depuis un bail dans mes quelques playlists. Faut croire que ça a du bon d'écouter des BO en cascades parfois...
"Mettez-vous bien dans la tête qu'un connard n'a jamais gagné une guerre en mourant pour son pays. On gagne une guerre en faisant ce qu'il faut pour que les pauvres connards d'en face meurent pour leur pays."
(conclusion : que tu sois d'un bord ou d'un autre, t'es un connard)
Pour des critiques plus informées, je recommande chaudement celle de SanFelice : http://www.senscritique.com/film/Patton/critique/13401797
et celle de floure : http://www.senscritique.com/film/Patton/critique/19313461
(entre autres)