Le cinéma de Yórgos Lánthimos est une fable permanente, où se côtoient l'obsession des grands espaces comme interrogation sur la vacuité de la vie humaine (Mise à mort du cerf sacré), la quête de l'identité (Canine) et la critique du modèle sociétal contemporain (The Lobster). Ces thématiques sont au coeur de ce Pauvres Créatures, et le brave Yórgos excelle dans toutes, sans jamais trop en faire, faisant mouche à chaque fois.
Pauvres Créatures n'est ni plus ni moins qu'un condensé de vie. Si on regrettera un début un poil longuet et le fait de céder dans les premières minutes à cette mode récente du noir et blanc mal à propos (n'est pas Spielberg qui veut), tout le reste est parfaitement maîtrisé, et Lánthimos nous délivre en 2h20 le récit d'une vie entière, y ajoutant des considérations politiques, la découverte de la sexualité ; posant la question des limites de la science ; signant un film féministe à souhait, le tout à travers ses habituelles excentricités de mise en scène, que ce soit par la présence du gore (déjà plus qu'entrevue dans ses films précédents) ou l'utilisation fréquente du Fisheye, comme si nous, spectateurs, découvrions la vie comme le fait Bella.
Bella, portée par une Emma Stone renversante, dévorant la vie et l'espace dans un univers rétrofuturiste pourtant si proche du nôtre, tour à tour bébé faisant ses premiers pas, jeune femme découvrant ses émotions et hurlant son désir de liberté, quasi-mondaine décomplexée, nous attire dans son monde et nous fascine inlassablement, comme tous les personnages qu'elle croisera au cours de son aventure.
Le scénario se trouve nettement plus inspiré que dans le somme toute conventionnel La Favorite, bien qu'il soit dû au même scénariste que celui-ci. Je n'ai pas lu le livre dont le film est une adaptation, j'ignore donc la part de liberté prise par Tony McNamara, mais l'on ressent toute la liberté laissée à l'ami Yórgos après le succès critique et populaire de son précédent film.
Lánthimos nous interroge sur une multitude de sujets, repoussant nos limites du bien et du mal. Déjà salué par le passé, il est peut-être venue, pour le Roi Yórgos, l'heure de la consécration. La mienne, il l'a déjà acquise ce soir de Novembre 2010, où, sortant de Canine, quelque chose en moi avait changé à jamais : j'aimais le Cinéma.