Il y a des fois où certains long-métrages nous attirent pour des raisons extérieures malgré un concept un peu étrange, ce qui est le cas ici. Avec la présence de Willem Dafoe et Emma Stone, il y avait de quoi être encouragé pour les fans de ces deux excellents acteurs. Après, « pauvres créatures » propose un concept un petit peu particulier dans le style film d’auteur (notamment certaines ressemblances avec « La Favorite » dans le style). Et donc, que vaut ce nouveau film étrange ? Et bien, il a beau être très étrange, il en est tout de même assez fascinant lors du premier visionnage.
Adapté du roman du même nom par Alasdair Gray, cette critique n'a pas pour but de comparer les deux versions, on ne parlera que du film en lui-même.
Positif
- Bella Baxter (Emma Stone) est une jeune femme mentalement perturbée qui vit enfermée chez Godwin et qui va chercher à sortir pour découvrir le monde et apprendre de ce monde. C’est une protagoniste qui peut paraître étrange mais qui fonctionne bien dans ce genre de film, notamment quand on sait ce qui s’est réellement passé pour elle pour qu’elle soit ainsi.
- Godwin Baxter (Willem Dafoe) est un imminent chirurgien et professeur défiguré que beaucoup ont du mal à regarder. Il pratique pas mal d’expérience assez étranges dans sa maison mais c’est aussi un homme qui apprécie sincèrement Bella, comme si il était un père pour elle. Franchement, sans être très touchant et malgré un passé très particulier, on comprend pourquoi il veut autant la protéger tout en restant intelligent.
- Duncan Wedderburn (Mark Ruffalo) est un homme prétentieux et un Don Juan qui veut s’attirer les faveurs de Bella pour mieux profiter d’elle comme il sait si bien le faire. Ce qui est intéressant avec lui, c’est l’effet que Bella va avoir sur lui alors qu’il la voyait juste comme un bon coup à faire plusieurs fois. Sinon, il est détestable par ses manières hautaines mais c’est en raccord avec son évolution et l’influence de Bella
- Max McCandless (Ramy Youssef) est un élève de Godwin et il le respecte beaucoup. C’est un jeune homme qui va être chargé d’étudier Bella et toutes ses actions afin de savoir les « progrès » qu’elle fait. C’est un jeune homme réellement attachant et très respectueux envers Bella malgré la manière dont elle le traite (mais compréhensible quand on connaît la vérité sur elle).
- Ici, on est plutôt face à une société dystopique. Pour faire simple, les décors et la société qu’on y voit est bien une société fictive, sombre et dangereuse (avec certains personnages en particulier) mais Bella va apprendre de cette société en grandissant et en devenant plus adulte et d’en faire partie à sa manière. Voir une société dystopique de ce genre ici, c’est assez efficace et ça fait partie du charme du film. Même si on sent que la réalité veut un peu s’en mêler ici avec certaines socialistes et la vision de certains personnages sur l’appartenance d’une femme comme un objet.
Dystopie: C’est de la fiction qui décrit un monde utopique sombre, là où l’utopie est un monde idéal qui ne prend pas en compte la réalité.
- Mine de rien, malgré que ce soit une société fictive, la part de réalité qu’on y trouve arrive à apporter des messages efficaces. On ne va pas les énumérer ici mais ce sont des bons messages sans que ça se veuille woke (vu que beaucoup sont allergiques mais ne savent pas faire la différence entre les moments où c’est réellement problématique et les moments où ça ne l’est pas tant que ça).
- Le long-métrage démarre par une femme en robe bleue qui se jette d’un pont dans une superbe mise en scène et la découverte d’une maison avec un homme défiguré et une femme très perturbée. Malgré qu’on devine facilement que cette femme était Bella, cette introduction est efficace pour nous donner envie de savoir ce qui s’est passé pour que ça en arrive à ça.
- Si on oublie la première fois que la couleur arrive dans le présent (on y reviendra) la photographie est plutôt pas mal dans son ensemble. Ça se voit surtout dans les premières séquences en noir et blanc qui sont de bien meilleure qualité que le reste mais la plupart des passages en couleurs rendent également la photographie assez jolie.
- Question évolution, c’est surtout Bella qui va évoluer de part son langage et son parcours où elle va grandir (mentalement parlant) mais Baxter a aussi une évolution sur ce qu’elle ressentait réellement pour Bella ainsi que Max qui apprend à mieux connaître et comprendre son mentor, surtout par rapport à Bella.
- En terme de symbolisme, il y a beaucoup d’éléments efficaces. Bella pour Baxter et Max, Duncan et la vie qu’elle découvre pour Bella, le physique de Goth qui définit sa personnalité… Il y a réellement du symbolisme très travaillé ici.
- Le jeu d’acteur est superbe. Entre Emma Stone et Mark Ruffalo qui sont excellents dans leurs rôles ainsi que Willem Dafoe et les autres qui s’en sortent bien (même si ce n’est pas sa meilleure performance), ça reste du jeu d’acteur de qualité.
- La mise en scène est vraiment bien gérée dans son ensemble. La majorité des séquences sont réellement soignées dans les choix de plans et ce que ça veut raconter en terme d’analyse sans qu’on soit perdu une seule fois.
- La fin est une bonne manière de conclure cette histoire et de montrer ce que l’évolution de Bella a fait. Parce que oui, ça marque aussi un point important de tout son parcours pour elle et de la maturité qu’elle a acquise.
- Les costumes sont de bonne qualité. En plus de bien définir les personnages, on peut voir que les costumes ont réellement été soignés comme il se doit, notamment pour la plupart des tenues de Bella.
- Malgré quelques points prévisibles, d’autres éléments du parcours de Bella étaient un peu inattendus. Sans spoiler, vous arriverez à être surpris par pas mal de moments dans ce long-métrage.
- Les musiques sont très réussies pour raconter ce qui se passe à l’image. Même si certaines sont mal jouées exprès, ça va avec ce qui se passe à l’image, surtout quand ça concerne Bella.
- Les décors sont assez réussis. Quel que soit les décors qu’on voit, on y voit des décors bien soignés dans l’ensemble.
Négatif
- La première fois que la couleur arrive dans le présent, l’arrière-plan est étrangement dégoûtant avec un flou bizarre. Certains diront que c’est un détail, et c’est vrai mais ce flou n’est vraiment pas très beau dans la photographie, heureusement que ça s’arrange dans la suite. D’ailleurs, les effets spéciaux ne sont pas toujours convaincants non plus et ça se sent mais ça doit faire partie du style film d’auteur et de la société dystopique qui nous est présentée ici et dans laquelle Bella doit apprendre.
- Est-ce qu’on voit venir que Baxter ment un peu sur les origines de Bella ? Oui (mais juste un peu, il y avait un peu de vrai et de l’inattendu qui marche). Tout comme sa relation avec Duncan dont on sait qu’elle va très mal se terminer. Ce sont des points scénaristiques légers mais tout de même assez évidents dès les premières apparitions et ce malgré que l’inattendu fonctionne assez bien la majorité du temps.
- Encore une fois, Yorgos Lanthimos a décidé de nous remettre le coup de la caméra fish eye et c’est un effet qui ne marche pas à chaque fois. Alors oui, il y a quelques petits moments où ça passe, mais c’est loin d’être aussi efficace dans la majorité des séquences où on en voit.
- Question tension, autant se dire que ça ne fonctionne jamais. Cette société a beau être particulière, il n’y a aucun moment où on ressent un réel danger pour Bella, même quand elle a un compagnon qui semble très possessif, voir agressif.
- Question émotion, ce n’est pas totalement au rendez-vous. Aucun moment n’est réellement triste ou énervant en se mettant du point de vue de Bella. En clair, on est jamais vraiment impacté par ce qu’on voit.
- Certains zooms passent bien à l’écran mais d’autres non. Alors oui, c’est un petit peu compliqué à expliquer de tête mais certains zooms auraient pu être facilement dispensés pendant le visionnage.
!!! PARTIE SPOIL !!!
Revoir Alfred pendant le mariage de Bella qui l’emmène avec elle pour lui rendre sa vie d’avant, on sent venir que c’est un homme détestable et qu’elle cherchait à le fuir. En plus, il voulait la rendre enceinte à nouveau et la castrer afin de faire en sorte qu’elle ne puisse plus s’amuser avec d’autres amants ou la quitter. Heureusement que Bella a su reprendre le dessus sur lui et le sauver en lui mettant un cerveau de chèvre à la place du sien (punition particulière mais méritée). Parce que oui, elle veut devenir chirurgienne quand elle choisit sa voie et il a été sa toute première expérience avant les examens apparemment. Sans compter Duncan qui tombe amoureux d’elle (enfin, c’est ce qu’il dit) juste parce que d’autres hommes se sont aussi « amusés » avec Bella. C’est pas de l’amour ça, c’est de la possession, même en parlant de mariage et de sa mère qui ont préparé leur lit pour eux deux.
En fait, Bella était en vérité Victoria, une femme qui s’est suicidée car elle était enceinte d’un homme détestable qui adore se moquer et menacer ses domestiques avec son arme. Godwin a trouvé son corps sans vie avec celui de l’enfant et il a décidé d’implanter le cerveau de l’enfant dans Bella et de prendre soin d’elle comme si c’était sa fille. Ca a beau être une expérience avec la majorité des animaux mélangés qu’on voit (une tête de canard sur le corps d’un chien par exemple), Bella semble être plus considérée comme sa fille que comme une expérience tout en essayant de suivre les progrès qu’elle doit faire (et sans la forcer).
Au final, « Pauvres créatures » est un visionnage un peu particulier mais ça n’empêche pas de réellement apprécier ce long-métrage pour ce qu’il propose, même si certains seront un peu dérangés par le parti pris ici. On a une mise en scène assez soignée, avec des personnages intéressants, un jeu d’acteur très efficace, des décors de toute beauté et une magnifique évolution de Bella. Après, il est vrai que certaines séquences visuelles sont un petit peu discutables, que l’effet fisheye ne marche pas toujours et que l’émotion et la tension ne sont pas très efficaces. Mais bon, malgré ses défauts, il faut reconnaître que le visionnage en valait la peine pour les curieux et pour ceux qui souhaitaient retrouver un film qui se voulait plus « film d’auteur » plutôt que la majorité des blockbusters hollywoodiens qui sortent en surnombre. Certains sont sympathiques mais il y en a beaucoup trop et ce nouveau long-métrage change, avec plaisir, la donne.