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Inénarrable époque que la nôtre… Nous incarnons bel et bien les « Pauvres Créatures » dans cette ère où les avatars font offices d’incarnations et où le politiquement correct s’érige en contestation. Pernicieuse entreprise que de glisser sur le fil de l’artifice pour finir par incarner ce que l’on prétend dénoncer. L’impact idéologique et le succès tonitruant du long métrage Barbie de Greta Gerwig en est un bon révélateur. Ainsi, un certain public se retrouve à verser des louanges à la poupée de Mattel comme un chantre du féminisme. Sous couvert d’un féminisme libéral tout de rose vêtu, la pilule finit tout de même par passer et ce malgré son discours arriviste au mieux convenu ou au pire douteux sur l’émancipation individuelle féminine. Il parait que c’est le sucre qui aide la médecine à couler…C’est avec grand intérêt que j’attendais le film Pauvres Créatures. L’intrusion de Yórgos Lánthimos par la grande porte de l’industrie m’a en effet quelque peu interrogé. Braquage ? Fourvoiement ? Ou allait-il tordre sadiquement le système de l’intérieur ? L’aspect corrosif de Lanthimos allait se heurter à l’un des thèmes contemporains les plus sensibles du moment : le féminisme. Sujet brulant pour un réalisateur irrévérencieux…Après la vision du film, finalement, de l’irrévérence il ne reste peu… J’avais alors sous-estimé la perversité de l’industrie, donnant pleinement les clés d’une entreprise scellée dans les mœurs de l’époque à un réalisateur malicieux pour accomplir finalement exactement ce qu’elle attendait de lui… Pour dépeindre la supercherie dont fait une nouvelle fois preuve Hollywood, il convient, à la manière du chirurgien Godwin (incarné par Willem Dafoe), d’évider et d’isoler les différentes couches de ce corps hybride. Il faut s’accorder d’y peser ces couches trop épaisses pour y déceler sa substantifique moelle.

BANALE MONSTRUOSITÉ

 Le film ancre son introduction à une représentation carcérale pernicieuse, à l’instar de Priscilla de Sofia Coppola avec qui il partage l’affiche, ainsi, une maison bourgeoise se mute alors en prison dorée. Là, où, Coppola choisi l’épure pour aborder la perversité de son environnement, Lanthimos choisi l’abrupt. Sa note d’intention : troquer la perversité indicible contre une perversion probe. On comprend alors par la mise en scène outrancière en bizarreries que la subtilité ne sera pas une de ses armes. Tout y est surligné. Ainsi, les déformations visuelles seront de mises afin de faire comprendre au spectateur le caractère étrange de la demeure. Nul décalage dès lors ne peut apparaitre par ce procédé qui nous dévoile alors que la folie du personnage principal, Bella, est parfaitement en adéquation avec son environnement. On pourrait me targuer de malhonnêteté car le lieu est empreint de l’esprit chaotique de son propriétaire : le chirurgien (et « père ») de notre héroïne. Seulement, l’intégralité des ambiances et décors du film sont eux aussi fantasmagoriques… Le spectateur n’est jamais positionné en position d’inconfort face aux excès de candeur de Bella, qui entrerait tel un chien dans un jeu de quille dans chacun des décors. Au fond, Bella ne dérègle rien car le monde dans lequel elle évolue est déjà dément. Sorte d’accouplement entre un tableau surréaliste et du carton-pâte : l’environnement sonne creux et n’induit donc jamais de décalage. Le potentiel burlesque s’enlise alors tandis que l’excentricité enfantine d’Emma Stone s’estompe à mesure de son Odyssée. Que nous reste-t-il alors derrière la farce ?  Une logorrhée nihiliste poussive et laborieuse…

C'EST LA FAUTE A VOLTAIRE

Comme une seconde peau, Lánthimos donne l’air d’arborer, derrière sa resucée de Frankenstein, une sorte de réappropriation de Candide de Voltaire. Il en est pourtant tout l’inverse. En effet, si le texte voltairien était fin et léger pour y déceler un sens plus riche. Ici le contresens est que le film est gras et boursouflé pour ne déceler qu’un propos creux et vaporeux. Avec une soif d’aventure et de découverte, notre héroïne se jette alors dans une topographie du mal (mâle ?) à travers l’Europe. Le pamphlet gesticule alors dans un vaporeux à peu près à la découverte du saint plaisir féminin. Voltaire l’avais compris, l’humour accouche d’un frottement. Ce sont les pensées optimistes béates de Pangloss s’heurtant au pessimisme tragique de Candide qui crées des étincelles. Dans le métrage, Bella est soumis au diktat d’un gentilhomme grimaçant de malice incarné par Mark Ruffalo. Jamais réellement sous son emprise mais jamais réellement libre pour autant. Tout est surligné pour ne jamais créer de malice ou de tortuosité vis-à-vis de ce personnage ayant pourtant un ascendant intellectuel majeur sur le personnage de Bella totalement ignare. Les poncifs éculés ont fait flores et il est de bon ton désormais dès lors que l’on souhaite affirmer son soutien à un personnage féminin, d’y sacrifier en contrepartie toutes les ambiguïtés masculines qui seraient pourtant à même d’instaurer une réflexion subtile… Le film utilise la bouffonnerie avec un sérieux déconcertant : les hommes y sont pathétiques.Du méli-mélo à l’homélie, il n’y a qu’un pas que le film franchit. Car vierge, Bella l’est de tout. Elle est un bloc d’argile jeté à la vie pour qu’elle y façonne une femme. L’apprentissage de notre héroïne ne sera pourtant purement que sexuel. Se grave alors à notre insu un constat éminemment curieux : les pulsions ont primauté sur la réflexion. Dès lors, devenir une femme ne serait en sommes que céder aux instincts primaires. A quoi bon être con mais curieux si l’on peut faire des « bonds furieux » ? L’écriture du film est tellement grasse et absconse pour vanter ses intentions propres et progressive que son féminisme marche sur le fil d’une misogynie crasse. Misogynie que le film adore détester mais qu’il incarne pourtant avec une morgue sans égal. Il s’agit malgré tout de trier le bon grain de l’ivraie et de noter que fleurissent malgré tout en son sein, des scènes balayant l’usage puritain du sexe desquelles Hollywood nous avait pourtant habitué. On peut même y dénicher tout de même, lors d’un séjour de Bella dans un bordel parisien, une bizarrerie excentrique et rafraichissante lors d’une scène de coït d’un père (incarné par Damien Bonnard) sous les yeux de ses enfants. Le vernis clownesque craquelle alors un instant pour laisser apparaitre une étrangeté malaisante mais tordante, malheureusement de courte durée… 

JEAN MOULIN A VENT

Comme souligné ultérieurement, le film imprègne par ricochet l’idée que la sexualité est le nec plus ultra de la féminité. De cette sexualité, Lánthimos se débarrasse aussi de la question de la maternité par là même où l’ambiguïté aurait pu se nicher et irriter le spectateur. Après tout, Bella finit tout de même par découvrir que le corps qu'elle a tant exploré sexuellement est celui de sa mère biologique. J’eusse préféré alors que les questionnements moraux apparaissant de cette cruauté dirigent le film vers une immoralité grinçante et une déraison inconfortable. Les zones d’inconforts sont vite balayées d’un revers de la main et les prétendus concepts avec lesquels le film semble vouloir jongler ne sont finalement jamais approfondis.Irrévérencieux, dérangeant ? Pieds et mains liés, le film s’ancre parfaitement dans le cynisme de l’époque. Voué à cor et à cri l’iconoclasme d’une œuvre qui n’est somme toute que le produit de son ère est, avouons-le, tout de même risible et douteux… Politiquement et à l’instar de sa copine Barbie, Bella embrasse un plaisir purement égotique, égoïste et narcissique en se jetant dans les bras d’un libéralisme doudou qui décidément à bien su capter le pou d’une époque…Pour finir sur un des égarements d’écriture du film : lors de son séjour en maison close, une travailleuse va évoquer à Bella des ambitions socialistes, opportunité pour le métrage à ce moment-là d’ouvrir le champ à une quelconque autonomie de pensée pour notre héroïne. Promesse politique que le film évacuera en catimini par un sursaut scénaristique. On l’aura compris, l’émancipation sera celle de la chair, non de l’esprit…   

Sipo-Matador
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le 20 janv. 2024

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