Quelques années après le grand succès du "Cygne Noir" de Henry King, une société de production concurrente veut lancer Maureen O'Hara sur un nouveau film de pirates. Il semblerait que ce soit elle qui ait suggéré Frank Borzage comme metteur en scène. L'idée fait sens car si on peut résumer Borzage comme le cinéaste des mélodrames ou des amours indissolubles, on peut s'attendre qu'il puisse apporter un éclairage un peu différent sur un film de genre comme les films de pirates.
Et de fait, tout le scénario va être bâti sur un coup de foudre (réciproque) au début du film entre Dona Francesca (Maureen O'Hara) et Laurent van Horn (Paul Henreid) qui ne trouvera son achèvement qu'à la dernière image. Entre ces deux scènes, il y aura entre les deux une relation mouvementée d'amour / haine qui évoluera en fonction de la situation suivant que l'un ou l'autre est en position de force. En effet, si l'une est la fille d'un vice-roi du Mexique destiné à être l'épouse du gouverneur espagnol de Carthagène, l'autre est un ancien capitaine hollandais devenu corsaire écumant les mers. On imagine sans peine que espagnols vont se fritter régulièrement avec les pirates. Mais comme rien n'est simple dans ce bas monde, les pirates étant un monde assez hétéroclite composé de gens bien (Paul Henreid et ses inconditionnels, of course) et de jolis et joyeux salopards, il y aura inévitablement de la bagarre entre eux pour maintenir l'ordre.
Tout ça pour dire que si je voulais résumer le film, je pourrais dire en exagérant un peu, que ce n'est pas tant un film de pirates dans lequel on a placé une romance mais plutôt un film d'amour qui se passe dans un contexte de pirates dans la mer des Caraïbes entre la célèbre île de la Tortue et Carthagène…
Ça n'empêche pas d'assister à une belle bataille navale, à des opérations d'abordage et à de jolis duels ; encore que les "vrais" amateurs risquent probablement de trouver qu'il n'y a pas de batailles vraiment homériques et que les pirates, somme toute, sont nettement moins méchants que le gros poussah sadique qui est gouverneur de Carthagène. Je pense aussi que bien des spectateurs risquent de trouver que le pirate Laurent interprété par Paul Henreid est un peu trop humaniste, pas assez sanguinaire et par conséquent un peu terne. Dans "le Cygne noir", par exemple, Tyrone Power est nettement plus rustique et rugueux, en fait plus conforme à l'image qu'on peut se faire d'un pirate. Mais, pour ce qui me concerne, ça me va très bien.
Bien des choses se passent dans les dialogues et dans les regards entre Maureen O'Hara et Paul Henreid. Il y a des scènes absolument délicieuses comme la nuit de noces avec l'air désappointé et boudeur de Maureen O'Hara (je n'en dis pas plus), scènes flirtant gentiment avec le code Hayes … De même que la scène où Maureen O'Hara rencontre pour la première fois le gouverneur de Carthagène qu'elle doit épouser : son air, qui cache à peine sa répulsion, fait merveille.
Au final, "Pavillon noir" est un bon film de Borzage, peut-être en retrait par rapport aux puissants "Three Comrades" ou "Mortal Storm". Mais la présence – magnétique ? – de Maureen O'Hara m'impressionne toujours comme elle m'a impressionné dans ses films "fordiens".
Et par rapport au "Cygne noir", je pense que j'ai une très légère préférence pour le film de Borzage. Par conséquent, j'ai bien envie de lui mettre un point de plus…