“Do you have to know everything ?”
Péché mortel est un film qui prend son temps et joue habilement des vernis du mélo pour, sous le glacis, instaurer lentement un malaise et les poisons de la tragédie.
Lors de la rencontre avec Ellen, Richard est subjugué par la façon dont elle le dévisage : trop long, trop intense, ce regard lui fait oublier qu’il tient une allumette, qui finit par le brûler. La première explication que donne Ellen est qu’il ressemble à son père, alors qu’elle n’a pas remarqué qu’il était l’auteur du livre qu’elle a sur les genoux et sur lequel figure une photo de son interlocuteur. Le programme est en place : un amour excessif, annihilant et vampirisant l’autre qui s’y brulera les ailes.
Mais avant les dissonances d’une machine trop huilée pour être honnête, le chapitrage par lieux insiste sur l’idéalisation : la villégiature des classes aisées, où les sœurs sont belles et les frères solidaires, laisse supposer un mal qui viendrait de l’extérieur.
Tierney joue habilement de sa perfection plastique pour progressivement souiller le tableau : avant d’être une femme, elle est une actrice : qui joue le rôle de l’épouse d’intérieur, de l’infirmière du frère et qui met en place un piège rutilant et effrayant du Home Sweet Home poussé dans ses ultimes retranchements.
[Spoilers]
Jeu de massacre au sourire crispé, il voit autant une prise de pouvoir mortifère par une femme que le rang des hommes, de toutes générations, littéralement décimé : exsangues, éliminés, ils se ternissent à mesure que la femme accroit son délire paranoïaque. « Ellen always win », avertit-on dès le départ. Froide et méthodique dans un premier temps (la scène de la noyade n’est pas sans évoquer le sublime Delon de Plein Soleil), elle parvient à une omniprésence telle que tout ce que dit son entourage semble dicté par elle, y compris après sa mort. C’est bien là le génie machiavélique que de priver l’écrivain du pouvoir des mots
Si la mise en scène est convenue, effacée derrière la figure imposante de son personnage, on peut avoir quelques réserves sur les ficelles parfois grossières des 20 dernières minutes : un district attorney ancien fiancé de la victime, il faut le faire, et le retournement du jury sur les seuls dires de l’accusé a de quoi laisser un peu sceptique.
Il n’en demeure pas moins que cette version Hollywoodienne de Médée, a la force, au sein d’une industrie normée, d’instiller la puissance et le malaise de ce qui fera, quelques décennies plus tard, toute la singularité des films de Cassavettes, voire de Polanski.