Pédale douce fut un grand succès en 1996 avec 4,1 millions d'entrées, au point d'être encore aujourd'hui le film culte de Gabriel Aghion. Celui que l'on retient entre plusieurs naufrages artistiques (l'adaptation de la série Absolutely fabulous était un magnifique carnage) avec ou sans succès commercial. Pourtant la production du film fut un véritable chemin de croix.
Au début des 90's, Aghion a déjà deux films à son actif (La Scarlatine et Rue du bac, passés inaperçus). Le réalisateur est gay et se définissait à Première (*) comme un survivant de "la catastrophe du sida", profitant le plus possible des soirées avec ses amis, forcés de cacher leur orientation sexuelle la journée au boulot, avant de s'éclater le soir et d'être eux-mêmes.
A partir de ce constat, il écrit un traitement qu'il envoie à Danièle Thompson et le duo travaille ensemble sur le script malgré de nombreux refus. Le projet a beau intéresser Richard Berry, Michèle Laroque et Fanny Ardant, les financements ne viennent pas (**). Faire une comédie avec des homosexuels alors que le vih est toujours aussi présent dans les mémoires (et surtout tabou) ne donne pas vraiment envie. D'autant plus que le réalisateur fait de Pédale douce un projet personnel qui se veut fidèle à ce qu'il voyait dans les soirées qu'il fréquentait. D'où son envie de mettre en scène des gay, des danseurs et drag-queens qu'il connaissait dans le restaurant Chez Eva, à l'image d'un endroit "gay friendly qui cartonnait dans les années 70 à Paris" (*).
La productrice Marie-Dominique Girodet permet à Aghion de rencontrer Pierre Palmade, qui va alors s'occuper des dialogues, vite rejoint par Patrick Timsit qui retravaille le personnage d'Adrien afin de le jouer. Après plusieurs années de galère, le projet se fait enfin et sort un an après Gazon maudit (Josiane Balasko, 1995), autre film évoquant l'homosexualité produit cette fois par Claude Berri (qui avait ironiquement refusé le projet d'Aghion). Pédale douce permet même à Fanny Ardant d'obtenir le César de la meilleure actrice et est une des meilleures audiences de TF1 en 1998 hors mondial de football (11,2 millions de téléspectateurs).
Si certains y verront toujours des caricatures, Aghion montre des personnes gays aussi épanouies que cachées. Les cas Timsit et Jacques Gamblin en sont bien la preuve, gays incognitos aux yeux de leurs patrons et essayant par tous les moyens de ne pas montrer leur nature aux yeux d'une certaine société. D'où leur plaisir d'aller Chez Eva où ils peuvent montrer qui ils sont, sans aucun jugement. Le striptease de Jacques Gamblin est volontairement symbolique : c'est une manière d'enlever ce qui fait de lui un homme normal. De même, au détour de deux scènes, Aghion montre la peur panique d'être touché par le vih avec la conclusion terrible évoquée le temps d'une réplique, comme pour un retour à la réalité.
En comparaison, il y a des hétéros plus tolérants que d'autres. Si l'on excepte le cas Fanny Ardant (qui est l'occasion d'évoquer d'autres tabous comme l'inceste), le personnage de Michelle Laroque est assez intéressant. Pensant que son mari est devenu gay, elle se demande si cela arrive à cause d'elle, quitte à avoir peur en allant au restaurant ou dans une rave. Mais au contact de Timsit et Gamblin, elle finit par les comprendre et à les aimer d'une certaine manière.
Pour Richard Berry, il n'y a pas de refoulement car il n'est pas gay. En revanche, il plonge littéralement dans la crise de la quarantaine. Découverte d'un nouvel amour, mais aussi d'un "autre monde" même s'il ne faut pas trop lui baver sur les rouleaux. D'où des pétages de plomb particulièrement violents qui en font une sorte d'antagoniste improbable. Un être tolérant mais quand ça l'arrange, comme il le dit à la fin du film.
Le casting fonctionne parfaitement, sans trop jouer sur l'exagération. Pédale douce peut aussi bien être vu comme le reflet de son époque que comme un témoignage de ce qu'être gay dans les 90's, avec ses hauts et ses bas. Un film sincère dans tous les cas et souvent très drôle, grâce à des punchlines bien senties de Palmade ("Son intelligence je m'en fous, c'est pas la cervelle qu'on suce !" ; "Ben quand tu seras toute refaites, mets un oeil à ta boutonnière que je te reconnaisse !" ; "Pédale ? -Douce. Hétéro cool.").
Il est d'autant plus sinistre qu'Aghion se soit autant planté par la suite, notamment avec la sorte de sequel que fut Pédale dure (2004). Un film rattaché maladroitement à Pédale douce et qu'Aghion a renié, n'ayant pas adhéré à la collaboration avec Bertrand Blier et à ce que devenait petit à petit le projet. Un sacré désastre qui s'est confirmé dans les salles (440 460 entrées pour 10 millions d'euros de budget), l'amenant vers la télévision.
* Propos issus de : https://www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema/Pedale-douce-Le-realisateur-Gabriel-Aghion-decrypte-sa-scene-culte
** Voir : https://www.bfmtv.com/people/pedale-douce-les-dessous-de-la-comedie-culte-de-gabriel-aghion_AN-202008120036.html