Contrairement à d'autres films nous permettant de revivre de grands événements historiques, nous sommes dans une vision réelle dudit événement. Il y a des moments héroïquement romancés, nécessaires car cela reste un film, mais le récit s'attache aussi à décrire la réalité des faits et de la situation des intervenants. Pour moi, certains biopics britanniques pêchent de ce côté, où l'on se perd dans une vision soudainement trop féerique et/ou comique.
La position de Kay (Meryl Streep) se fait de plus en plus ferme au fur et à mesure du film. Mais on comprend dés le départ qu'il existe des collusions évidentes entre elle et le pouvoir très haut placé. Cela ne se limite pas à des coups de téléphone du Chef de Cabinet de la Maison Blanche mais bien à des amitiés, dites privées, avec un Secrétaire d’État (ex-collaborateur du journal si j'ai bien compris), ce dernier étant le premier pion à tomber suite à ces révélations.
Si je rebondis sur le Secrétaire d’État, on peut mettre en évidence son double discours politico-politicien. Il encense les opérations US au Vietnam face à la presse mais a totalement conscience du désastre en cours et le signifie allégrement via des notes classifiées secret-défense. Ce n'est pas blanc, ce n'est pas noir, c'est gris, mais vraiment gris pour ce dernier.
Le dernier personnage à double facette auquel je pense est Ben (Tom Hanks). Il est totalement à l'image de Kay, il entretient une relation privée/professionnelle intense avec JFK. Une photo en compagnie de sa femme et du couple présidentiel trône d'ailleurs dans son salon.
Je pense d'ailleurs que le point de bascule du film se situe chez Kay et Ben dans leurs réflexions sur les relations au pouvoir. Kay comprend que son « ami » le Secrétaire d’État a dépassé les limites qu'elle ne peut accepter en tant que simple citoyenne, elle ne peut passer sous silence ce comportement. Ben se rend compte qu'il a été, en quelque sorte, utilisé par le couple présidentiel, qu'il s'est perdu dans cette relation, les pistes étaient brouillées pour lui ... pas pour le couple présidentiel qui avait bien compris l'intérêt d'une telle relation. Bref, double point bascule : des faits majeurs et une réflexion majeure sur la relation entre les journalistes et le pouvoir.
Spielberg a également la volonté de nous faire comprendre, de manière sous-jacente, qu'il s'agit également d'une course au scoop entre le NY Times et le Washington Post qui se muera en un combat pour la liberté de la presse. Mais on comprend bien que le WP est bien content d'avoir eu ce scoop, comme le propriétaire du NY Times est bien content de vanner Kay dans un premier temps. Encore un petit mot sur notre ami Spielberg. J'ai adoré sa manière de filmer la frénésie des salles de rédaction. Le suivi de la caméra des mouvements des personnages donne vraiment du relief.

Pour en revenir à Kay (Meryl Streep), on ressent dés le départ sa position de femme à une époque où la prise de pouvoir d'une femme pouvait encore déranger les grands investisseurs de ce monde. Je dis cela avec une pointe d'ironie car je suppose que cela en dérange toujours mais que l'appât du gain est encore plus fort qu'une dose de misogynie. Elle est la seule femme au conseil d'administration du journal et la seule femme lors du lancement en bourse, une nuée d'hommes blancs d'un certain âge l'entourant ... et ne se cachant pas pour lui administrer une bonne dose de condescendance ou d'indélicatesse pour ne pas dire autre chose (comme lui faire sentir qu'elle est là juste par ce que son mari est décédé ... elle se reprenant en mentionnant qu'il s'est suicidé, que c'était donc sa propre décision). Le réalisateur, bien que brossant le portrait d'une femme forte et déterminée, ne la ménage pas en retranscrivant l'époque telle qu'elle était, à savoir que les femmes changent de pièce pour aller parler mode et culture quand les hommes doivent parler business, par exemple. Kay se fait également toute petite à la sortie du tribunal où son journal a triomphé du pouvoir. Ce sont les hommes qui captent la lumière, elle, se fraye un chemin parmi une foule ... de femmes n'ayant d'yeux que pour elle. Bref, on montre la force d'une femme dans un monde pas encore prêt (l'est-t-il d'ailleurs encore maintenant) à voir cela.
Ce film tient un discours doux/amer et est fidèle aux événements. Spielberg porte une regard lucide et nous permet de nous recentrer sur un débat essentiel à toute démocratie. On peut se dire que l'on a évolué sur certains aspects mais, selon moi, la société moderne est une éternelle recommencement. Le film se conclue d'ailleurs en ouvrant une nouvelle porte, celle du Watergate, mais celle-ci pourrait redonner sur une nouvelle porte, celle de la guerre en Irak de 2002 puis celle des révélations de Snowden, puis encore celle des affaires liées à la campagne présidentielle de 2017, etc. Je me limite aux USA mais combien de révélations de ce type ont et auront encore lieu. C'est le propre d'une démocratie et de son jeu de pouvoir et de contre-pouvoir. Mais attention à la course perpétuelle au pur discrédit.
Une société qui n'a plus confiance en ses politiques est un problème, une société qui n'a plus confiance en ses médias est un cancer aux ramifications profondes.

Toine1985
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le 27 janv. 2018

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