Radiographie de la Corée à l'aube de l'an 2000
Un homme s'invite à un pique-nique d'anciens du lycée. Malgré son costard, son attitude est des plus inquiétantes : il chante sans la sono et super faux une chanson, se comporte comme un déséquilibré, traverse la rivière pour monter sur le pont de chemin de fer... et finit par passer sous un train.
Pourquoi ? "As-tu un secret que tu ne veux pas me dire ?" comme le disait la chanson ?
Le film revient ensuite en arrière, progressivement, pour tenter de comprendre ce geste. On voit notre personnage redevenir de plus en plus jeune. Entre chaque flash-back, une image des rails vus du train, à travers un paysage de montagne, et remontée à l'envers.
Yong-Ho est donc un ancien pdg à la dérive. Sa femme l'a trompé, son associé est parti avec le fric. Il achète un flingue, songe à tuer le mari de son ancien amour de jeunesse, Sunim. Celle-ci est dans le coma, il arrive trop tard pour la voir à l'hôpital.
Plus tôt, le voilà pdg optimiste, avec son associé. Mais grâce à un privé, il découvre que sa femme le trompe avec son moniteur d'auto-école. Il décide donc de la tromper aussi avec sa secrétaire. Lors d'un repas d'affaire, où l'épouse doit dire la prière, une scène effroyable éclate.
Plutôt encore, Yong-Ho est flic et tabasse avec métier un petit jeune pour le faire balancer un pote. On se rend compte que c'est le gars qu'il a rencontré au restau dans la section précédente, et qui avait l'air super gêné. Il rentre voir sa femme enceinte. Lors d'une arrestation, on se rend compte que son genou est fragile.
Encore avant, Yong-Ho est un jeune rookie flic, ancien ouvrier ayant fait son service militaire. La Corée du début des années 1990 a encore une vie de quartier, mais assez misérable. Il drague sa future femme, Hong-Ja qui est serveuse d'un bouis-bouis. Ses collègues, des brutes épaisses, le forcent à participer à une séance de torture. Il ne peut se contenir, au point que le prévenu se fait dessus. Décomposé, Yong-Ho fait irruption au bouis-bouis de Hong-Ja et cherche à provoquer une bagarre. Peu avant, il a retrouvé son amour de jeunesse, Sunim, venue lui offrir un appareil photo. Pour la choquer, il pelote Hong-Ja devant elle et lui rend son appareil photo.
Encore avant, Yong-Ho est un jeune conscrit. Sunim lui envoie des lettres avec dedans des bonbons à la menthe. Elle tente de venir le voir à la caserne, mais se fait charrier. Un soir, Yong-Ho et la troupe sont mobilisés pour aller casser de l'étudiant lors du soulèvement de Gwangju. Yong-Ho reste en arrière, une balle dans la jambe. Pendant qu'il attend les secours dans le noir, au niveau de la gare, une lycéenne essaie de passer la voie. Il la laisse passer, mais comme ses camarades arrivent, il doit faire semblant de lui tirer dessus pour donner le change. Sauf qu'il la tue.
Encore avant, Yong-Ho et Sunim sont deux jeunes lycéens qui vont faire un pique-nique avec des copains, au même endroit qu'au début du film. Guitare, fleurs, insouciance, pas de technologie à la c...
C'est un fort beau film, car ce qui pourrait être un procédé fonctionne à merveille. L'enquête à rebours évoque un peu "Citizen Kane", quoiqu'avec une structure plus modeste. La reconstitution est poignante, puisque le retour en arrière amène évidemment un subtil jeu de comparaison entre la fin des années 1990 dépressive et hyper-occidentalisée, les années 1980 répressives et traumatisantes, et l'insouciance du tout début, sur laquelle le film se termine, comme un message d'espoir (peut-on retrouver cette pureté ?). Dans l'attitude des personnages, les dialogues, le message, tout est fait pour donner un certain regard sur la Corée et son évolution. Les images parlent.
C'est donc à la fois un film très emblématique de la Corée et très personnel. Un très bon film.