La vie à coups de javel
Perfect Days version Wim Wenders, c’est la chanson au singulier de Lou Reed, sans l’âpreté de la voix de Lou Reed, sans l’ambiguïté de son “You’re going to reap just what you saw”, geste de...
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C'est à reculons je dois avouer que je suis allé voir le dernier film de Wim Wenders, Perfect Days et avec perplexité que j'ai regardé en analysant ce que je nommerai une première partie de ce film.
On cite souvent Ozu en référence de Wenders pour son dernier opus, le cinéaste de la transformation du Japon vue, vécue par de petites gens et incarnée dans les films d'Ozu par des personnages humbles, le plus souvent par des acteurs discrets, à l'allure impersonnelle, dont on ne peut se remémorer les visages tant ils semblent appartenir au quotidien japonais.
Rien de tel avec Kôji Yakusho, dont le rayonnement irradie l'ensemble du film. Quant à Hirayama, le personnage qu'il interprète, il se démarque en tout du quotidien tokyoïte, que ce soit par son physique, il est grand, par son allure, il est élégant ce jusque dans sa combinaison de travail, par ses passions, littérature occidentale, pas seulement d'ailleurs, musique des seventies, à laquelle il peut d'ailleurs partiellement renoncer, songeons à la vente d'une de ses K7 préférées alors qu'il est en panne d'essence. En bref, il ne peut incarner ce prolo autodidacte qui s'abandonne totalement à son travail et que personne ne remarquerait. Alors, erreur de casting ?
Rien n'est moins sûr. Car les origines sociales d'Hirayama sont suggérées lors de sa rencontre avec sa sœur qui est elle une grande bourgeoise, et avec qui il a d'ailleurs rompu. Hirayama n'est donc pas un prolo, si ce n'est par choix, et le film prend une coloration différente. Ce quotidien routinier et terne que Wenders sait filmer sans m'avoir ennuyé un instant, prend un nouveau sens. Ce n'est plus le quotidien subi et dévalorisant des prolos, dans le cas présent d'un prolo quelque peu singulier, c'est le quotidien choisi par un bourgeois en rupture avec son monde, plongé dans un Japon qu'il reconstitue à son échelle et à son goût. L'ordonnancement de ses journées qui se ressemblent sans être identiques, ne saurait d’ailleurs être perturbé. Une des rares expressions de colère d'Hirayama, surgit à l'occasion du dérangement de ce bel ordonnancement, lorsque son jeune collègue démissionne, n'est pas remplacé si ce n'est par Hirayama lui-même qui doit faire face à un surcroit de travail : rupture de l'harmonie de la vie qu'il s'est construite, consciemment, et dont il n'accepte pas ou difficilement le dérangement.
Quel est alors ce Japon dont Hirayama, plus que Wenders vraisemblablement semble avoir eu la nostalgie ?
C'est le Japon dont Ozu filmait et regrettait la disparition, Japon idéalisé dans lequel l'humanité semblait avoir été centrale dans les rapports humains, proximité, sociabilités et travail bien fait rythmaient les journées, la solitude de l'homme moderne était dépassée par la communion avec la nature, source d'émerveillement au quotidien, mais aussi par la participation à de nombreux rituels, onzens publics et rencontre fortuite avec des habitués des lieux fréquentés par notre anti-héros. C'est le Japon d'avant Ozu, reconstitué à l'échelle d'un homme qui en possède la connaissance, certainement la nostalgie et in fine la jouissance, une époque dans laquelle le présent, représenté dans le film par le croisement des branches sous le vent, était central .
C'est donc perplexe que j'ai abordé ce film, mais c'est émerveillé par le magnifique plan final et véritablement ému que j'ai quitté la salle.
Créée
le 12 févr. 2024
Modifiée
le 12 févr. 2024
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