Bien avant de parler du film proprement dit, il est je pense nécessaire de se pencher sur sa production, tant celle-ci pourrait à elle seule constituer le scénario d'une formidable histoire de cinéma.

L'aventure débute en 1972, lorsque le jeune Kidlat Tahimik se trouve à Munich où il a investi toutes ses économies pour avoir le droit de vendre des mascottes des jeux olympiques faites en coquillages pour lesquelles il a associé plusieurs villageois de sa région natale des philippines, hélas les dramatiques événements qui jetteront un voile noir sur ces olympiades mettent à bas ses espoirs et il se retrouve coincé à Munich sans argent, hébergé par un ami étudiant en cinéma, ce dernier lui confie quelques boulots alimentaires, comme porter le matériel, servir de chauffeur etc. Petit à petit Kidlat acquiert les bases de l'utilisation d'une caméra et se découvre une passion à filmer absolument tout, sitôt que la caméra est disponible, un jour son ami étudiant doit dans le cadre de ses études passer une épreuve centrée sur le montage, or le professeur sensé lui faire passer cette épreuve est indisponible et se voit remplacer par Werner Herzog à qui Kidlat montre sans réelle détermination les déjà nombreuses images qu'il filme depuis bientôt deux ans. De son œil aiguisé et expert Werner Herzog décèle chez ce jeune philippin un énorme potentiel et l'encourage fortement à poursuivre dans cette voie, il lui offrira afin de l'aider financièrement un petit rôle dans son film "L'énigme de Kaspar Hauser" ainsi que quelques contacts "pro", c'est notamment de cette façon qu'il pourra acquérir à très bas prix de nombreuses pellicules 16mm dont les dates de péremptions les destinaient au rebus ou en tout cas pas à une utilisation dans le cadre de la production d'un film de studio.


Kidlat filme ainsi dès qu'il en a l'occasion et lorsqu'avec son ami étudiant en cinéma il se retrouve sur la banc de montage, c'est là que le récit de son histoire prend forme, d'idées des débuts il dévie selon ses envies, ses inspirations du moment, les images qu'il a, celles dont la qualité permet leur intégration et c'est un long travail de réflexion qui se fait, se construit aux cours des mois. Kidlat expliquant que le budget extrêmement serré dont il dispose, le libère et le pousse à faire montre d'une créativité et d'un sens de la débrouille optimum.


Le film prend vie et toujours grâce à Werner Herzog il est présenté au festival de Berlin de 1977 où il obtient entre autres le prix de la critique. Malgré cela le film peine à se vendre en dehors du territoire allemand, encore inédit dans les pays francophones, il bénéficie pour sa distribution aux Etats-Unis du concours de Francis Ford Coppola à qui il fut montré alors que ce dernier cherchait pour sa structure zoetrope des films bons marchés mais à fort potentiel pour lui permettre d'achever et financer son "Apocalypse Now". Depuis le film conserve son aura parmi un cercle d'admirateur et bénéficie régulièrement de projections lors de festivals où il jouit d'une solide réputation, Jean-Luc Godart en particulier fut l'un de ses plus notables critiques.


Parlons maintenant de l'objet filmique en tant que tel, car il est difficile de ne pas voir l'aspect amateur et la qualité plastique médiocre du film, entre des pellicules parfois aux limites de l'exploitable qui rendent un grain d'images inhabituel pour un film autant salué, des soucis flagrants d'expositions, on ne peut pas négliger que malgré ces évidents défauts qui rebuteront le spectateur trop tatillon, le film donne l'impression sidérante que son réalisateur a été touché par une forme de grâce absolue, que le sens du cadre, du montage, de la narration par l'image étaient pour lui de l'ordre de l'inné, la révélation d'un talent brut, que certains mettent des années à atteindre ou simplement tenter d'égaler.

L'histoire nous narre celle d'un chauffeur de jeepney ces modes de transport en commun typiques des Philippines qui rêve de partir aux USA pour voir de ses yeux le programme spatial de la NASA et qui aidé d'un étudiant arrivera en France avec son véhicule, là il sera confronté à la réalité du monde occidental bien éloigné de l'image d'Epinal qui était la sienne dans sa province natale.

D'une poésie dingue, d'une audace que seuls les débutants dans un art peuvent oser, comédie solaire qui se nuance au fur et à mesure d'une mélancolie sourde, le film est un petit bijou d'humanisme, une ode à la création et un pamphlet doux amer contre l'hégémonie culturelle des USA, ou plutôt une déclaration d'amour à la culture philippine qui a selon son réalisateur oublié ses qualités propres en raison de la présence constante dans le quotidien philippin de cette culture occidentale surpuissante.


Un film rare, intense, dont la facture particulière n'en demeure pas moins passionnante et symptomatique d'une viscérale envie de conteur pris d'une frénésie de filmer son environnement, son quotidien pour en tirer tous les arômes subtils et sublimes qui sauront vous toucher au plus profond de votre âme et sans doute, comme moi, questionner vos ambitions créatives, prouvant de façon indiscutable que les moyens techniques sont une chose mais pas l'essentiel.



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le 6 déc. 2023

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