Liv Ullmann, cette héroïne au visage si doux, si dur et si cruel...
Essentiel parangon de l'Oeuvre bergmanienne Persona demeure l'un des drames les plus troublants et obsédants qui soit... Tour à tour kammerspiel suédois, essai filmique aux confins de l'art expérimental et véritable film d'horreur psychologique ledit chef d'oeuvre déplie ni plus, ni moins l'étrange relation liant une actrice devenue subitement mutique et son infirmière accouchant d'une parole aussi libératrice que redoutablement destructrice, ou du moins déstructurante.
Avec une économie de moyens aussi fascinante que brillamment menée de bout en bout Ingmar Bergman offre à Liv Ullmann l'une des compositions de personnage féminin les plus mémorables de l'Histoire du Cinéma : muette et pleinement consciente de sa vérité pure, véritablement dominante et subrepticement cynique à l'encontre de son accompagnatrice et confiante Alma ( Bibi Andersson, également excellente, met presque involontairement à nu sa propre intimité...) la figure de Elisabeth Vogler demeure celle par qui le mystère et la violence sourde arrivent sans crier gare, maïeuticienne délibérément aphone ré-inventant à elle-seule le fameux théâtre de la présentation si cher au dramaturge Antonin Artaud.
Magnifié, sublimé par la lumière tranchante et contrastée de Sven Nykvist ( le chef opérateur fétiche de Bergman sur la plupart de ses oeuvres...) et inauguré par un prologue aussi énigmatique que parfaitement stimulant Persona reste un formidable film sur le dialogue et ses multiples dynamiques, ses forces et ses tendances potentielles. De ce point de vue les personnages de Elisabeth et Alma ne cessent de correspondre l'un envers l'autre, bien que Alma soit la seule à verbaliser les différentes aspirations et volontés de sa patience imperturbablement mutique. Trash voire étonnamment impudique le discours et/ou la vérité libéré(e) par la parole de l'infirmière semble tout droit sortir d'une boîte de Pandore astucieusement suggérée, évoquée par l'antichambre narrative formée par les premières minutes du métrage (là une main clouée dans sa crudité la plus franche, ici un ovidé violemment éviscéré, là encore un petit garçon tâtonnant un écran éblouissant d'agressivité...).
De ces images oniriques et de ces récits imbriqués les uns dans les autres ( une lettre lue à la dérobée, un souvenir d'accouchement répété à deux reprises à la manière d'un sidérant champ/contrechamp, celui d'une singulière orgie confessée comme "à même le divan"...) Ingmar Bergman tire un résultat intimiste et psychologique vertigineux, jouant sur les notions de glissement et de stase paradoxalement tumultueuse avec une intelligence conférant au génie. Un film aussi indispensable que définitivement inoubliable, et l'un des longs métrages les plus denses du réalisateur suédois.