Cela faisait des années que je souhaitais voir Persona. L'aura de Bergman, mais aussi le nombre de citation à ce film, en particulier celle de Lynch. Scène d'ouverture très particulière, expérimentale. Prologue, qui te cloue dans ton siège. Un film qui interroge sur de nombreux "grands thèmes" : le suicide, la mort, l'humanité, l'identité, l'amour, la relation fusion/jalousie... J'ai eu l'impression qu'il faisait échos à de nombreux films que j'avais pu voir, Mulholland Drive forcément. Les deux films peuvent être mis en parallèle tellement ils sont proches, mais peut-on voir Persona avec les mêmes clés que Mulholland ? D'un côté une comédienne et une infirmière, de l'autre une actrice et sa "sauveuse", une mutique et une amnésique. Une blonde, lune brune (en vrai Liv est rousse), l'appropriation de l'amant, le plan mêlant les deux visages de Persona et l'échange de perruque de Mulholland... Une patiente qui se fait "manipulatrice", une "blessée" qui se révèle bien plus forte, une infirmière solide qui devient folle... une jeune actrice solide qui devient folle... Bref, les échos entre les deux films me semblent très nombreux, mais il serait dommage de s'y arrêter. Persona me semble apporter d'autres choses...
Est ce une femme qui choisit, à la place du suicide qui lui parait impossible, de se taire ? de s'effacer du monde ? La vie serait alors pour elle un lieu hypocrite, sans humanité (les moines immolés, la photo de l'enfant juif de Varsovie...). Culpabilité collective ? Une sorte de non choix ? Le mutisme est alors le dernier rempart contre la lâcheté et l'hypocrisie humaine. Pour Alma « tout n’est que mensonge et imitation » et l'homme du Silencio de Mulholland nous réponds « tout ceci n’est qu’un enregistrement ». La pièce déclenchant cet mutisme est-il clé ? (Electre, personnage prisonnière des Atrides et souhaitant elle aussi faire tomber les masques (/persona) ?) Qu'elle est l'importance du mot "rien" ? (l'équivalent du "silencio" de Lynch ?) Le petit garçon de la scène d'ouverture est t'il le fils de l'actrice ? L'infirmière rejette t-elle réellement le scénario qu'elle raconte à la comédienne sur son enfant ? ...ou son"surmoi" le rejette t'il, d'autant plus violemment que cela touche quelque chose en elle ? Cette scène est d'ailleurs répétée, soulignant son importance. Persona voudrait dire "masque". C'est le le masque des comédiens antiques qui leurs permettaient de faire porter leurs voix. Masque social aussi, qui afficherait l'inspiration du film Persona aux travaux de Jung. L'actrice en refusant son "masque social", son "persona", refuse alors aussi sa voix. Ne traite t'on pas ici justement de la psychanalyse (même si les corps physiques (l'infirmière est assise, la comédienne allongée sur le lit lors de la "confession") et les statuts voudraient que ce soit l'infirmière qui soigne, le film semble inverser les rôles) ? Ici l'infirmière se raconte et la comédienne "l'analyse". L'inconscient et les représentations du cadrage social sont clairement évoqués. Alma ("l'âme" !) parle de ses parents agriculteurs, de sa reproduction de schéma familial, de sa sécurité à avoir un schéma de vie claire, de son angoisse d'avoir "dérivé" lors de cette confession sexuelle. L'inconscient a aussi sa place avec les images subliminales, dont une qui me semble réutilisé dans Fight Club (et qui paraît-il a été supprimée à la surprise de Bergman de nombreuses copies). La comédienne arrête brutalement sa carrière dans le royaume de l'apparence, elle veut "retrouver son âme, trop longtemps malmenée". Tâche qu'elle exécute avec Alma, l'âme, personnage malléable, véritable éponge. Elisabet vampirise Alma, l'écoutant sans parler, l'omnibulant et buvant même son sang. Les deux personnages sont ils réellement distincts ? Les frontières sont poreuses, autant entre les deux femmes, qu'entre la norme et la folie ou entre rêve et réalité. Mais "la vie s’infiltre partout", et le refus de s'en retirer et de ne pas y participer est vain selon la docteur.
On dit que ce film a "sauvé la vie" de Bergman. Les premières images sont imaginées alors qu'il délire, hospitalisé pour une double pneumonie, se murant alors dans son silence. En deux semaine, il écrit le scénario et une semaine après son départ de l’hôpital, commence le tournage. C'est d'ailleurs sur l'île où est tourné le film qu'il se retira et mourra. Persona parle aussi du cinéma (tout comme Mulholland) avec sa scène d'introduction ou à son final. La lampe du projecteur s'échauffe, la pellicule défile, un dessin animé s'affiche à l'envers... J'ai lu que Bergman symbolisait par Dieu par une araignée, araignée que l'on retrouve au début du film.
Très belle image restaurée. J'ai ressenti "physiquement ce film, à en avoir froid dans le dos. Oeuvre déstabilisante, hermétique mais riche, je l'ai trouvé bien plus marquante que "Scènes de la vie conjugale" : bien plus court et plus dense ! L'impression de saisir une vraie oeuvre quasi "brute" et pouvant servir de "motif initial" à de nombreuses autres.
Voir ce film rien que pour tisser des liens avec d'autres est une motivation (inspiré de, ou source d'inspiration) :
Persona et Mulholland, Persona et Vertigo, Persona et Parle avec elle (http://www.cineclubdecaen.com/realisat/almodovar/parlepersona.htm)...