Cette année, pas mal de films politiques sur la politique. « Au boulot ! » de François Ruffin et Gilles Perret, concret, dont j’espère que le propos sera davantage qu’une tentative de lutte. Je crains que l’expérience, originale et intéressante, n’ait pas provoqué la « réinsertion des riches » attendue. « Le Repli » de Joseph Paris sur le repli identitaire, au propos propagandiste et à la forme alarmiste, attaché à un point de vue unique, celui de Yasser Louati, militant aux engagements contre-productifs.


« Personne n’y comprend rien » de Fabrice Arfi et Karl Laske, journalistes à Médiapart, un média qui fait aujourd’hui office de contre-pouvoir, rempart protecteur de notre démocratie. Un docu’ à charge et à décharge, équilibré, factuel, au discours lisible de sorte qu’au final, tout le monde y comprend à peu près tout.

C’est une enquête journalistique, où les pièces à conviction se dévoilent les unes après les autres et où les intrigues s’enchaînent, toujours plus extravagantes. C’est à ce genre de thrillers cousus de fil blanc, que l’on comprend à quel point la fiction n’égalera jamais la réalité. Et quelle réalité !


Après VGE, le plus féministe de nos présidents, je fus chiraquienne. Aussi, en 2006-2007, avec ma copine Florence, c’est naturellement qu’on y était : engagées auprès de Sarko. On a fait campagne pour Sarko aux côtés de Simone Veil, on était fières. Comme cette femme illustre, nous étions autant à gauche qu’à droite, selon les sujets. C’était fou, volcanique, grandiose, sans temps mort ni répit. Vertigineux. On a tant vibré qu’on a réitéré en 2012, avec autant de passion. Sarko, celui qui avait la France chevillée au corps, ce type à l’éloquence foudroyante, aux mimiques plus convaincantes que risibles. Sarko, un homme politique anormal et un acteur génial.

Oui, bon. Victor Hugo a bien commencé monarchiste.

Je n’étais pas non plus dupe ou aveuglée, je n’ignorais pas qu’il put être corrompu et menteur. Plus ou moins que Mitterrand ? J’ai choisi le charisme impétueux.


Concernant l'affaire Kadhafi-Sarkozy, j’avoue qu’il m’a peut-être été plus aisé de ne pas chercher jusqu’à présent à y comprendre quelque chose, malgré les indices égrenés depuis dix ans par Mediapart, que Sarkozy parvient systématiquement à déminer avec une rare habileté oratoire et un sens de la manipulation et de perfidie tout aussi bluffant.


Qui sont les protagonistes de ce film, dont tous, aujourd’hui, sont présumés innocents ? Nicolas Sarkozy et ses bras armés : Claude Guéant, Brice Hortefeux, en France. Le dictateur et Guide Mouammar Kadhafi et son exécutant sanguinaire Abdallah Senoussi, en Libye. Au milieu, l’intermédiaire Ziad Takieddine qui orchestre et propulse l’affaire.Dans les rôles secondaires (quoique déterminants, de « mules » et complices), eux aussi présumés innocents. En France : Thierry Gaubert, Boris Bouillon, Michel Gaudin, Alexandre Djouhri, Thierry Herzog, Eric Woerth, Cécilia Sarkozy. En Libye : Barchir Saleh, Choukri Ghanem, Saif-al-islam Kadhafi, Ahmed Kadhafi al-Dam, Bagdhadi al-Mahmoudi.


De quoi s’agit-il : du financement illégal de 50 millions d’euros de la campagne à l’élection présidentielle de 2007 de Nicolas Sarkozy, par Mouammar Kadhafi.


Quel est l’élément déclencheur du film et de l’enquête : un email reçu à la rédaction de Médiapart, invitant les journalistes à prendre connaissance des archives de Ziad Takkiedine.


Quel est l’origine de cette affaire : après les attentats du 11 septembre 2011, Kadhafi envisage de revenir sur la scène européenne et internationale avec une image lissée et un projet d’envergure panafricaine. Nicolas Sarkozy décide de le soutenir en échange d'un financement occulte de sa campagne.


S’ensuivent d’extravagantes mécaniques diplomatiques pour faire transiter des mallettes d’argent liquide incognito (jusqu’à 3 M€ de billets dans une valise), entre la Libye et la France.Bien sûr, il y a des sociétés offshore (l’improbable Olin).

Des morts suspectes (le ministre du pétrole libyen. Les 170 victimes, dont 54 français, de l’attentat du DC 10 UTA et l’abandon des poursuites).

Des intrigues parallèles (l’affaire des infirmières bulgares en échange d’un contrat d’entente sur l’énergie nucléaire. Rama Yade virée du gouvernement.)

Du blanchiment d’argent (Guéant s’achète un appartement à 500.000€ qu’il paye cash).


Il y a des revirements chocs (Mouammar Kadhafi dénonce et plus tard son fils. Ziad Takkiedine, ruiné, dénonce plus fort. Puis se rétracte. Mimi Marchand, l’amie de Carla Bruni et du couple Macron, fait obstacle à travers les médias people : « Sauver le soldat Sarko ». Ziad Takkeidine revient à la charge).


On assiste à de la traîtrise de haut vol : Sarkozy attaque la Libye de Kadhafi qui meurt dans une attaque. Il favorise l’extradition d’Abdallah Senoussi et le soustrait à Interpol. Il abandonne Claude Guéant et Brice Hortefeux.


Verbatim de Nicolas Sarkozy qui apportent au film une dimension sarcastique : « Si c’était une série, on dirait que le Scénario est invraisemblable ! » ; « Cherchez pendant un siècle si vous voulez, vous ne trouverez rien ! » ; « Est-ce normal qu’un ancien président soit traîné dans la boue depuis 8 ans sur les seules déclarations d’un individu ? » ; « Ziad Takkeidine a menti parce que le juge lui a demandé de le faire ».


Sauf que : le film présente des pièces attestées par des experts. Relevés bancaires, ordres de virements, correspondances, emails, saisies d’argent, notes confidentielles, procès-verbaux, notes « Confidentiel défense », scripts de témoignages, documents déclassifiés, agendas.


Ce qui me surprend le plus je crois, c’est de constater que ces hommes, tous, sans exception, se croient tellement puissants et infaillibles, qu’ils se permettent d’annoter sur leur agenda des informations aussi sibyllines qu’explicites (« demander au Procureur général de mettre le Mandat d’Arrêt de côté »). Leur aplomb à mentir procure au film des séquences truculentes.


Nicolas Sarkozy est accusé de Recel de subordination de témoin, d’Association de malfaiteurs en vue de commettre une escroquerie au jugement en bande organisée. Au total, ils sont treize accusés, tous présumés innocents.


Le film, dynamique et ponctué de témoignages et d'un chapitrage efficace, a été longuement applaudi par tous les spectateurs de la salle.

Isabelle-K
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le 26 janv. 2025

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Isabelle K

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