Pour son dernier film, François Ozon retombe en enfance et s’offre une maison de poupées dans laquelle il fait s’ébattre des personnages parfois cyniques, parfois drôles, souvent pathétiques. L’enfant Ozon est délicieusement cruel et n’hésite pas à maltraiter ces petites marionnettes entre ses doigts grassouillets. Mais après tout, quel bambin n’a jamais torturé avec un sadisme joyeux une poupée Karl dans sa vie ?
La taille disproportionnée de l’appartement, unique scène de ce huis-clos, renforce cette impression. Nous sommes bien dans un minuscule théâtre.
Peter Von Kant, cinéaste inspiré du célèbre Fassbinder, réalisateur allemand très prolifique, parti trop tôt, nous fait vivre ses affres amoureuses et ses différents états d’âme, écorchant au passage le milieu du cinéma et ses frasques hypocrites. Le film est aussi un miroir sordide de l’état amoureux et de ces tragiques facéties. Qui ne s’est jamais retrouvé le nez plein de morve à pleurer sur l’être soi-disant aimé qu’on aura oublié dans six mois car il a eu l’impudence de nous quitter ? Qui ne s’est jamais éploré sur une photo du goujat en question en pensant que la vie n’avait plus de sens ? Le réalisateur ose nous montrer ce que nous sommes dans ces moments-là, des pleureurs égocentriques.
Car finalement aime-t-on jamais vraiment ? Le film interroge les relations humaines en général en partant du postulat qu’elles sont toutes intéressées. Le réalisateur nous met face à une réalité que la plupart des gens n’acceptent pas. L’amour est avant tout un contrat tacite entre deux parties consentantes. L’histoire d’amour entre notre anti-héros et son protégé Amir le prouve bien. Le jeune acteur cherche quelqu’un pour faire décoller sa carrière, le cinéaste quant à lui veut posséder la beauté car elle l’obsède. Chacun prend chez l’autre ce dont il a besoin, quitte à mentir délibérément sur leurs réelles motivations, jeu de dupes dans lequel personne ne l’est vraiment.
La relation avec Karl est de facto du même acabit. Karl est maso et Peter un peu sado et quand l’une des deux parties brise le contrat, la relation prend logiquement fin. Stefan Crépon campe ce Nestor jusqu’au-boutiste avec une justesse incroyable. Il arrive à faire passer dans son regard et sa gestuelle la palette exhaustive des émotions humaines. Il fait rire sans prononcer un mot, et chacune de ses expressions faciales fait mouche.
Quant aux grandes femmes de la vie de Peter (et on sait que Fassbinder mettait la femme au centre de ses films), elles lui servent principalement à passer ses nerfs, quand elles ne jouent pas tantôt le rôle de psychologue, infirmière ou faire-valoir selon l’humeur du bonhomme. Quel délice de retrouver Adjani qui incarne Sidonie, « amie » de notre bedonnant génie. Mais une fois de plus, Ozon nous éblouit de la froide lumière de la réalité, même l’amitié est soumise à intérêts respectifs.
Cette tragi-comédie est un régal à consommer sans modération.