Depuis quelques années, chaque méga superstar se voit affublée de son biopic, tentatives d'hommage plus ou moins réussies qui essayent de montrer l'homme derrière la star en omettant, bien entendu, ce qui pourrait fâcher.

Elvis Presley n'échappe pas à cet exercice de style dans l'air du temps et Baz Luhrmann rend une copie plutôt propre qui sort parfois de son sujet pour nous conter une Amérique très loin du glamour dinner, chevrolet, cherry on the sundae que représente les 60's dans l'esprit du tout venant. Et c'est là que le film décolle vraiment, lorsqu'il se détache des strass et paillettes des costumes du King of Rock n' roll pour nous montrer l'envers du décor.

La ségrégation battait encore la mesure du pays au son du rythm n' blues de BB King et des vedettes noires de l'époque qui ont forgé musicalement un jeune Elvis, oisillon maigrichon issu d'une famille prolétaire.

Baz Luhrmann rend très bien compte du symbole que fut la star à cette période charnière pour les Etats-Unis. L'étendard qu'était ce blanc qui osait faire de la musique de noirs et donner de puissants coups de reins au puritanisme ambiant, et ce devant une jeunesse déchaînée, dont les cris d'hystérie s'élévaient vers le ciel et vers le King, comme autant de respirations enfin libérées du carcan conservateur qui étouffait le pays.

La scène de la cordelette séparant les blancs des "colored people" lors d'un de ses concerts pourrait résumer le film à elle seule. Quand elle tombe enfin au sol, permettant au blancs et aux noirs de s'unir au rythme de la voix puissante du King, il devient clair qu'une nouvelle Amérique est en train de naître sous les yeux d'une incarnation musicale quasi divine.

Parlons d'ailleurs de l'incroyable performance de l'acteur Austin Butler, dont la moue boudeuse et la voix profonde aux charmants accents sudistes convainquent avec brio. On en viendrait presque à penser qu'il a été touché outretombe par la grâce d'Elvis en personne. Cela vient compenser le jeu d'acteur pesant d'un Tom Hanks grimé à outrance pour interpréter le cupide et pervers colonnel, qui aurait abusé sans vergogne aucune de la naïveté de son poulain, le poussant presque dans la tombe. Cet aspect de l'histoire est néanmoins intéressant, pour quiconque ne la connaitrait pas.

Le choix des morceaux est assez varié, Elvis bien sûr, mais aussi du rap. Ce courant de musique prend ses racines dans le RnB des 60's, n'en déplaise aux spectateurs qui n'ont pas tous compris ce que venait faire Eminem au générique de fin. C'était pourtant attendu et quasiment inévitable. Comment ne pas faire le parallèle avec un autre blanc qui s'est approprié la musique noire et a choqué une certaine Amérique puritaine de l'époque ? Personnellement, j'ai attendu tout le film que résonne la voix de Marshall Mathers pour venir appuyer cette comparaison entre les deux temporalités. Il paraît étonnant que beaucoup ne l'aient pas compris. N'auraient-ils tout simplement pas su voir ce que le film voulait montrer au-delà du cadre de la dissertation musicale ?

Un bémol à la partition, les moeurs assez dégueulasses d'Elvis, hébéphile notoire qui aimait les filles de 14 ans, sont passées sous silence pour nous dresser le portrait d'un être généreux (il l'était sans nul doute) et amoureux du seul amour de sa vie, Priscilla. Le parfait conte de fée pour masquer une réalité plutôt sordide qui n'enlève pourtant rien à l'artiste ni à son oeuvre. Il aurait pourtant été intéressant de montrer la contradiction de cette société conservatrice qui ne pouvait souffrir de voir un déhanché à la télévision mais trouvait normal qu'un homme de 24 ans fricote avec une collégienne (les médias s'en amusaient beaucoup). Le problème quand un réalisateur ne veut froisser personne est qu'il ne franchit pas cette ligne rouge du politiquement correct qui permettrait au film de passer de sympatique à fantastique.

Long live the King

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le 29 juin 2022

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