Petite Fille
7.6
Petite Fille

Documentaire de Sébastien Lifshitz (2020)

Petite Fille par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Le besoin de s'identifier et de vivre comme une petite fille dès sa plus tendre enfance n'est pas banal mais ce fait est réel, le petit Sasha en apporte la preuve depuis ses trois ans. Nous allons le retrouver à l'âge de sept ans, l'âge où l'on entre à la grande école, et là les contacts ne sont pas toujours simples. Sans le savoir vraiment les enfants expriment leurs préférences vis à vis des autres de façon parfois maladroite et parfois humiliante pour un petit être sensible, malheureux et mal dans sa peau tel que Sasha. Les parents se trouvent face à un dilemme et surtout Karine, sa maman. Ayant déjà eu un fils elle désirait avoir une fille mais la vie en a voulu autrement. La responsabilité de la mère est-elle engagée? Ce besoin de voir arriver une petite sœur dans le cocon familial et cette grosse déception à l'accouchement ont-ils eu une influence majeure sur le comportement de ce petit garçon ?
Karine se sentant fautive parvient à se rendre compte à quel point l'avenir de ce second fils est déjà brouillé. En effet le comportement de Sasha à l'école diffère de celui des autres garçons et il s'isole. La plupart des élèves de sa classe arrive à deviner qu'il y a une différence Seul une petite fille accepte de l'avoir pour copine mais le petit garçon se referme sur lui-même, il ressent vraiment ce fossé qui le sépare des autres et même de certains enseignants. Les demandes de rendez-vous avec le chef d'établissement s'enchaînent mais elles restent sans réponse. La mère accompagnée de son mari décide de faire une irruption chez le directeur pour expliquer le problème. Les hautes instances de cette lourde administration se saisissent de ce cas. Mais sous ce qui est encore le règne de la paperasse, parmi tous les articles figurant dans le règlement aucun de ceux-ci ne prévoit ce "cas peu ordinaire". Rien ne se passe. Durant tout ce temps Sasha subit cette condition qu'il n'a en rien demandée et la notion de rejet de son état s'amplifie. Reste une solution, passer par un psy mais dans une ville comme Reims le psy n'a pas les compétences et le droit requis pour délivrer un document attestant que Sasha est une fille dans son corps de garçon. Il faut se rendre dans un hôpital parisien pour rencontrer une pédopsychiatre spécialisée dans ce genre de trouble. Le certificat peut être délivré. Néanmoins Sasha reste parfois "fermé" sur certains points de sa vie, ses rapports avec les autres petits camarades. Entre ses sanglots il avouera même être rejeté par une prof de danse. Et oui, même là cet enfant n'est pas "en conformité" avec cette activité. Après tout ce marathon, toutes ces brimades, Sasha est enfin reconnu comme petite fille. Elle va enfin porter une robe avec plaisir, des sourires vont enfin se faire jour sur sa frimousse. Elle va peut-être pouvoir s'épanouir aidée par ses parents, sa sœur et son frère des aînés compréhensifs et le petit dernier de la famille. D'autres épreuves attendront Sasha au moment de la puberté mais la reconnaissance est acquise... à quel prix.


Il est certain qu'en écrivant cette critique je n'allais pas pouvoir m'empêcher de détailler cette histoire car en lisant des critiques ou des commentaires je m'aperçois qu'effectivement beaucoup ne savent pas ce que cela peut être pour un enfant de ne pas se sentir bien dans son corps et dans la manière où on l'oblige à vivre. Beaucoup distinguent mal le combat de ces parents qui en fait préfèreraient finalement avoir un petit Sasha heureux ou heureuse car à trois ans on n'invente pas ça. Il faut savoir que Sasha est la proie d'une "dysphorie de genre". Ce n'est pas une maladie. C'est une différence du comportement, un trouble de l'identité sexuelle provoqué par des réseaux neuronaux. Ceux-ci régularisent la sensibilité et la conscience de soi. Les hormones jouant un rôle important sur le comportement, la personne n'aime pas certaines parties de son corps. Une sorte d'incompréhension s'établit. Sasha n'est donc pas dans la peau du sexe qu'elle doit être. Néanmoins les angoisses d'une mère avant la naissance n'ont strictement rien à voir avec ce fait troublant maintenant reconnu heureusement.


Le réalisateur Sébastien Lifshitz nous dresse des portraits touchants, combatifs. Il nous déroule ce drame de la différence avec beaucoup de pudeur et de retenue. Jamais il n'use de "la corde sensible", il nous laisse observer un morceau de vie d'une famille se heurtant aux incompréhensions des institutions qui devraient être présentes pour protéger, rassurer. Beaucoup d'entre nous se diront peut-être qu'on ne peut laisser le choix du sexe mais ce n'est pas si simple et la nature a ses caprices et dans ce cas précis elle n'a que faire de ce que l'on a entre les jambes. Il faut être trop cruel pour ne pas comprendre. Sasha ne nous a peut-être pas livré tous les secrets de ce mal-être. A cet âge là on n'ose peut-être pas tout dire de sa détresse ou l'on ne sait peut-être pas comment l'exprimer.


Avec ce document bouleversant Sébastien Lifshitz a remporté une dizaine de Grands Prix et on ne peut que saluer ces récompenses. Souhaitons que ce documentaire avec toute sa puissance arrive à briser l'un des murs les plus solides, celui des préjugés.


Box-Office France: non communiqué


Ma note: 9/10

Créée

le 28 déc. 2020

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