Petite fille est un très beau documentaire, qui suit le parcours de la jeune Sasha et dans le même temps, de sa famille. La jeune fille le dira avec ses propres mots, à l’une de ses thérapeutes : « je suis née garçon mais je suis une fille ». Traitant alors de la dysphorie de genre, le documentaire ne s’intéressera pas au pourquoi, mais portera son regard sur le comment et le parcours que cela peut occasionner. Notamment autour des notions que sont l’acceptation et la tolérance de l’autre.
Très rapidement, la mère de famille nous explique qu’elle culpabilise en quelque sorte, ayant peur du fantôme de l’instrumentalisation qu’elle aurait pu créer envers sa fille, sans le vouloir. Elle se pose beaucoup de questions sur sa responsabilité quant à l’origine de cette dysphorie car paradoxalement, elle souhaitait donner naissance à une fille lorsqu’elle était enceinte de Sasha. Mais lors du premier rendez-vous avec la thérapeute, cette dernière lui fit comprendre que ce souhait né pendant la grossesse, n’eut aucun effet sur Sasha et sur ce que cette dernière pouvait ressentir au plus profond d’elle-même. Sentant alors cette pression disparaître de ses épaules, cette mère fière et à l’écoute de sa fille va nous montrer le quotidien d’une famille qui a décidé de se battre contre un environnement qui ne s’avère pas aussi protecteur qu’il devrait l’être. Un quotidien parfois semé d’embuches. Le fil rouge du documentaire est la reconnaissance de Sasha par la direction de son école, comme étant une fille.
Cette jeune fille demandant uniquement d’être traitée comme ce qu’elle considère être : une fille et non un monstre de foire. Le pourquoi, concerne Sasha et sa propre personne. Ni devant ses parents, ni devant les autres, ou même devant la caméra, à aucun moment on ne lui demandera de se justifier ou d’expliciter une situation qui s’avère parfaitement naturelle à ses yeux. Elle est une fille. Le film parle donc de l’appropriation de Sasha par rapport à son corps et sa personne, à sa libération en quelque sorte, mais parle aussi et surtout de l’impact que peut avoir un environnement sur la construction d’un être en maturation, et nous questionne de manière collective, en tant que société, sur notre rapport à la dysphorie de genre et de façon générale, à la différence.
La violence de la société (l’école, les autres élèves, la société) est omniprésente mais est continuellement hors champ, même si elle nous est racontée, ne laissant pas le spectateur indemne. Certains pourraient reprocher au documentaire de ne faire entendre qu’un seule et unique son de cloche, mais l’objectif ici présent n’est pas d’immiscer un débat nébuleux ou délétère mais est de laisser la parole à ceux qui ne l’ont pas majoritairement, à l’image de ce rendez-vous prévu par la mère et la thérapeute où aucun membre de l’école ne déniera se rendre. Marquant une indifférence éducative crasse. Petite fille parle avec justesse de la difficulté que constitue l’insertion scolaire, des valeurs qui prédominent malheureusement dans certains établissements, le rapport au reflet, la solidarité familiale, l’ostracisme de la société, et la peur face au manque de compréhension entre un monde enfantin difficile à réguler, car il faut trouver les mots justes pour expliquer les choses d’une manière la plus simple possible et de l’autre coté, un univers adulte tout sauf tolérant, qui au lieu de représenter un visage éducatif proche de l’autre et à l’écoute, s’avère être un environnement rugueux, qui parfois, laisse peu de place à l’autre et son appropriation.
En parlant d’appropriation, il faut souligner le sublime travail de Sébastien Lifshitz : son documentaire trouve la parfaite distance entre le point de vue et la liberté du réel. Au lieu d’aller au-delà du réel, de chercher ce qui va pouvoir faire basculer le récit, d’aller cueillir des informations qui ne voudraient pas sortir d’elles-mêmes, d’amorcer la trame narrative dans une direction bien distincte, c’est le réel qui s’écrit de lui-même, qui se laisse apprivoiser et non pas le chemin de traverse qu’est la caméra qui irait voler des moments. La jeune Sasha, comme une fleur pour reprendre l’une des expressions de sa mère, éclot devant nos yeux : par ses propres moyens, ses propres mots ou même ses propres larmes. Les rendez-vous avec la thérapeute sont d’une émotion assez rare, et font parfois penser à du Raymond Depardon, tant la réalité semble effacer toute trace de caméra pour alors faire vibrer le visage d’une vérité qui ne demande qu’à être entendue, ou à l’inverse qui laisse le silence agir comme acte de foi.
Par des choses factuelles, comme la détermination d’une mère, la bonté d’une sœur ou d’un frère protecteurs, le regard bienveillant d’un père, la candeur mais aussi la détermination parfois émotive de la jeune Sasha, Petite Fille veut porter l’espoir sur ses épaules sans jamais dissimuler les futures batailles qui attendent cette famille (la prof de danse ou la future puberté). Avec ces moments de respiration où les gestes parlent d’eux-mêmes (la danse), son dispositif simple, ses mots réconfortants (le fils cadet qui dit à sa mère qu’il ne peut pas lui en vouloir), ses regards comblés de larmes qui nous transpercent par tant d’humanité et de souffrance sourde, Sébastien Lifshitz fait de Petite Fille un petit miracle de cinéma et surtout, une réelle réflexion sur nous-mêmes.
Article original sur LeMagducine