J'aurais rêvé voir le même film que les critiques les plus enthousiastes. Si je comprends leur fond vis-à-vis de ce qu'ils en ont tiré, je saisis en revanche nettement moins l'engouement autour de cette sortie, et particulièrement la façon dont elle a été vantée mais aussi accueillie.
Avant toute chose, d'un aspect purement visuel, le projet est très esthétique. Certains plans et séquences ont un net travail cinématographique qui permet de se présenter comme un documentaire nouveau, frais et dynamique. Lifishitz a l'oeil et l'objectif (entendez-le matériellement), cela ne fait pas de doute.
Mais voilà, Petite Fille, son fond et sa construction forment une création malhonnête. Dans sa forme, l'histoire est narrée d'un ton fataliste dès l'annonce de la situation initiale (la remise en cause de l'identité de genre de Sacha). Dans les faits, la situation pose surtout problème à la mère, qui décrit chaque étape comme un problème (grave et existentiel), alors que ces doutes pourraient être le terreau de riches réflexions et relativisations, qui n'empêcherait évidemment pas un certain regard critique à l'égard de la société. Cette relativisation d’un postulat sociétal lié au sexe doit-elle forcément être posée comme un problème ? Le documentaire aurait pu (dû) être force de propositions et de ressources plutôt qu'une écuelle destinée à recueillir des décilitres de pleurs. Quand le ciel nous tombe sur la tête (enfin selon nous-mêmes), dont-on se noyer dans nos propres larmes ? Il m'est d'avis que le fatalisme est pitoyable et jamais constructif.
Il n'est en aucun cas question d'un enfant, de ses doutes et de la montagne de questions lui tombant dessus à chaque bougie soufflée, mais bien davantage des lubies d'une mère étouffante et hermétique aux dires et avis de toute autre personne, y compris sa fille. Ainsi, elle n'évoque à aucun moment du film son rôle de manière neutre: elle avoue au fil des rendez-vous auxquels la caméra assiste que, dès le début de sa grossesse, elle désirait une fille. D'ailleurs, son entretien avec la psychologue est contradictoire: elle assure avoir laissé "le choix" à Sacha, alors que l'ensemble de son discours initial laisse transparaître l'inverse. Cette séquence est pour moi l'aveu qui donne le ton et la direction de la suite.
Un phénomène m'a particulièrement frappé: à aucun moment le réalisateur ne présente (ou en tout cas n'a gardé) un entretien avec Sacha face cam. Elle ne parle d'ailleurs quasiment pas. Cette petite fille semble vivre à travers les mots de sa mère, cristallisant, voire gelant, ainsi son propre cheminement, ses propres pensées, sa propre émancipation et ses propres expériences en tant qu'enfant. Détail fatal: à bientôt dix ans, Sacha prend encore son chocolat chaud au biberon devant la télé tous les matins avant d'aller à l'école. Bien que n'ayant pas encore eu d'enfant, je me souviens assez peu d'en avoir été là à cet âge. Sans nécessairement parler de problème d'éducation, ce genre de détail afficherait probablement des soucis de stabilité dans l'éducation de Sacha, et donc encore une fois à son évolution et son émancipation.
N'en résulte de cette couvée rien d'autre chez Sacha qu'un profond mal-être, y compris vis-à-vis des autres enfants de son âge. Cette dernière ne se construit pas, elle n'est que le résultat d'un assemblage par un adulte selon la vision obtus qu'en a sa mère. Si Sacha est isolée de toute expérience sociale et sociétale, comment pourra-t-elle comprendre qui elle est et se construire ?
L'image de la petite fille, et plus généralement du sexe féminin, est caricaturé à outrance dans la représentation de Sacha: à l'heure où les stéréotypes de genres ont la peau encore trop dure et où les discours et combats peinent à se faire entendre, les vêtements aux "codes de féminité" caricaturés à l'excès tout comme les robes roses de princesse inspirées des productions américaines et de leur vision outrageusement normée ainsi que les questions plus qu'orientées de la part de la mère sembleraient presque avoir leur petit côté vintage... Problème: elles reposent sur des idées datées de plus d'un siècle, ces mêmes desquelles nous sommes incapables de nous défaire encore en 2021 (biberonner littéralement sa fille avec des classiques Disney, je ne suis pas vraiment que ce soient les meilleurs outils qu'un parent puisse donner à son enfant au regard des codes sociaux et de ses évolutions).
Au regard des autres critiques du site, j’ai donc clairement l’impression de ne pas avoir vu le même film. L’omniprésence de la mère et de sa fille (en tant que simple figurante encore une fois) dans les émissions et sur les plateaux de télé au moment de la sortie du film ferait passer celle-ci pour quelqu’un ayant pour objectif de vendre les atouts de quelque-chose ou de (se) vanter. Oh, mais attendez donc…