L’insoutenable légèreté d’un lourd récit d’apprentissage

Peur de rien... le titre de ce film m’en rappelle un autre, celui d’une chanson que j’aimais bien écouter à l’âge de treize, quatorze ans (le fait que son nom ait deux mots en commun avec celui du film de Danielle Arbid a dû le faire remonter des limbes de ma mémoire):


https://m.youtube.com/watch?v=h5ztosKIqp8


Déjà, à l’époque, je me disais que ce n’était pas de la grande musique: l’instrumental est oubliable, les paroles somme toute pas très recherchées (sans compter le manque d’originalité du thème), et leur construction simpliste. Cependant, son aspect léger, solaire, et la voix plutôt agréable de la chanteuse,faisaient un peu oublier peu ces tares. C’était le genre de chanson à la superficialité délicieuse, qu’on écoute lorsque le temps est bon et qu’on ne veut plus penser à autre chose qu’à son plaisir. Du feel-good pur et dur. Son écoute, à l’époque (et encore aujourd’hui, je dois l’avouer), m’était très agréable.


Pourquoi parler de cela ? Parce que plus je pense « Peur de Rien », plus je réalise que je l’apprécie plus ou moins pour les mêmes raisons: l’histoire est un récit d’initiation léger, lumineux, par moments aussi naïf que son héroïne. Cette dernière a beau être une immigrée pratiquement sans-papiers, lâchée par l’administration française, et voguer de domicile temporaire en domicile temporaire après avoir quitté celui de son oncle qui a tenté d’abuser d’elle, elle arrive toujours à s’en tirer, à faire de bonnes rencontres, à ne pas se retrouver sur une pente glissante (et les quelquefois où cela pourrait arriver, elle parvient toujours à s’en écarter). Son seul véritable problème, tout au long du film, restera d’éviter l’expulsion.


Entendons-nous bien, ce parti-pris de ne pas glisser dans le glauque n’est pas sans avantages: non seulement la réalisatrice évite ainsi les lourdeurs toujours difficiles à contourner quand on adopte un angle « misérabiliste », mais elle réussit aussi à combiner la désinvolture de son film avec un certain réalisme (sa représentation de la fac, avec ses mouvements politisés très opposés, par exemple).


Néanmoins, l’insouciance générale qui se dégage du film, sans réelle zone d’ombre ou presque, le prive d’une certaine profondeur, et le font manquer d’enjeux secondaires qui auraient rendu le parcours de notre personnage moins lisse. Elle essuie, certes, quelques difficultés, mais toutes se résolvent presque en un claquement de doigts; il lui arrive même de passer d’une « étape » de son parcours à une autre, sans transition ni explication, de façon assez maladroite: ainsi ses divers changements d’habitats/cursus d’études ou la perte de son premier emploi, soit en fait tous les aspects les plus formalistes, mais aussi les plus « réalistes » de sa lente intégration. Le film préfère se concentrer sur les tranches de population dont elle fait la connaissance, dont certains deviendront des amis, et parfois des...amours. Ce n’est certes pas un mal en soi, mais le fait d’occulter, par des ellipses barbares, tout ce qui pourrait ajouter en (triste) crédibilité au film, le transforme quasiment en bluette sans prise de tête, alors que les multiples sujet abordés (outre la difficile insertion dans un pays en plein clivage sur l’accueil, ou non, de migrants, la réalisatrice parle également de déchirement famillial, avec entre autres la mort du père de Lina), sont tout de même assez graves.


Il aurait été mieux, peut-être, que « Peur de Rien » alterne différents registres, pour une réussite plus complète: d’un côté la légèreté et l’humour, de l’autre la lourdeur et la tristesse. Il tente de le faire, mais pas assez. De sorte que sur le plan émotionnel, on n’arrive jamais bien à saisir le poids des difficultés qui s’abattent sur Lina. L’ensemble reste toujours trop doux, trop pur. Et la mise en scène est à l’avenant: dans chaque plan ou presque, on a droit à une jolie luminosité, à des couleurs chatoyantes (un peu baveuses, même, parfois), à une grande pudeur dans les évènements évoqués (la plupart des scènes de sexe entre Lina et ses amoureux resteront hors-champ...l’amour avant tout). A trop se vouloir spirituelle (elle sonde d’abord des pensées et des émotions) alors qu’elle s’inscrit pourtant dans un cadre très réaliste, à ne vouloir rien montrer de glauque, rien dévoiler de grisâtre, de médiocre, de bassement matériel, l’oeuvre de Danielle Arbid en vient à manquer de chair. Elle est de celles que l’on peut adorer regarder, mais pas de celles qui marquent.


L’ai-je aimé, ce film ? Oui, et d’un amour tendre. Car tendre, et juste, ce film sait l’être aussi. Il arrive à apporter à certaines de ses situations (sans surprise, les plus heureuses et sans remous) toutes les nuances qu’elles méritent. Et il réussit aussi (avec brio ) à faire aimer son actrice. Par certains côtés, c’est donc un très beau et délicat récit d’initiation, un vrai plaisir à regarder. J’étais partie sur un gros et affectueux sept, au départ. Mais mon caractère est ainsi fait que je ne peux pas aimer totalement les oeuvres trop gentilles. De même que certaines femmes aiment les salauds, j’apprécie davantage les oeuvres méchantes, sales et sans concessions. C’est donc sans rancune, mais avec un peu de dépit, que je classe ce film parmi les plutôt bons (mais pas parmi les chef-d’oeuvres) en espérant retrouver autre part le visage délicat de son (excellente ) interprète...

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le 27 mars 2019

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Dany Selwyn

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