Je suis un mensonge qui dit toujours la vérité

Cette critique contient des spoilers. Du film d'une part, mais aussi de deux autres films : "La faute à Voltaire" et "Nous Trois ou Rien"


Peur de Rien est le troisième long-métrage de fiction réalisé par Danielle Arbid, réalisatrice franco-libanaise. On y suit Lina, jeune immigrée libanaise, dans son combat vers l’intégration et son droit à la liberté.


Arbid installe l’histoire de la jeune fille dans les débuts des années 90 et habille son film des références politiques et culturelles qui y sont liées (musique rock en fond sonore, activités politiques diversifiées, difficultés liées à l’immigration). La belle Lina (Manal Issa) parcourt les rues de la capitale et remplit son existence de rencontres, d’acharnement et de plaisirs.


Par la forme de la réalisation, Danielle Arbid nous offre une œuvre plus complexe qu’elle n’y parait puisqu’elle pose ici une frontière tangible entre mérite et éthique et remet en question la notion de moralité dans l’art. Peur de rien, sans être une œuvre inscrite dans une démarche transgressive, tend à démonter les carcans de la narration académique présente dans le cinéma actuel.


Dans « La faute à Voltaire » (Abdellatif Kechiche, 2001) le personnage principal ressemble quelque peu à Lina : Un homme immigré en France pour des envies d’ailleurs et de liberté. Loin de l’image d’un réfugié politique en fuite après un vécu traumatisant. Rien de préjudiciable si ce n’est que la narration offre un final attendu de tous : la reconduite du jeune homme à la frontière, l’application de la loi française, la résolution du drame. Kechiche injecte alors des relents d’injustice dans le cœur de ses spectateurs, après nous avoir dépeint un personnage vaillant, sans histoire, et plein de bonne volonté. L’empathie est présente, le pari est rempli.


Dans la même veine ou presque, « Nous Trois ou Rien » (Kheiron, 2015) raconte l’histoire d’un couple iranien, réfugié politique en France après avoir fui l’oppression politique. Une histoire vraie qui vient à nouveau emplir notre jauge de bonté, basée sur le mérite : ces personnes ont souffert, se sont battues dans leur pays, ont dû fuir pour vivre une vie meilleure, ont réussi, justice est faite.


« Peur de Rien » ne présente rien de juste et transforme le spectateur en un funambule émotionnel. Car de sa vie Lina n’a fui qu’une seule chose : les comportements tendancieux de son oncle à son égard, ceux-ci la poussant à ramasser ses affaires pour attaquer sa nouvelle vie à travers les rues de la capitale. Le reste est une affaire de chance et de bonnes rencontres puisqu’elle attise la pitié d’Antonia (Clara Ponsot), puis celle de Victoire (India Hair), passant d’un hébergement et d’un boulot à l’autre sans aucune difficulté, toujours dans la débrouille, la complaisance, l’insistance. Et après tout, tout le monde l’aide cette gamine, que ce soit les royalistes ou les anarcho’, les bourgeois et les professeurs compatissants, les potes de potes qui n’hésitent pas à rendre service, venant contrecarrer les mises en garde de sa famille et de ses amis sur les difficultés d’intégration.


Une réussite que Lina doit principalement à son joli minois, comme nous le répètent les personnages à longueur de temps à base de qualificatifs qui laissent à penser qu’à part sa petite bouille, la dame n’a pas grand-chose à proposer. Car son charme qui fait tomber les gens comme des mouches est son arme principale contre les difficultés, la corde essentielle qui la retient à la ville et au pays.


Là où l’académique au cinéma base l’attachement envers les personnages comme un vecteur essentiel d’appréciation d’un film, « Peur de rien » se distingue en proposant une héroïne parfaitement antipathique et à la fois loin d’un anti-héros classique. Aucune compatissance possible envers cette petite à qui rien de mal ou presque n’arrive, qui trouve chaussure à son pied à chaque séquence et se sort victorieuse de toute les situations. Difficile de ne pas penser à tous ceux qui ont eu moins de chance et qui, en une scène, réussissent à implorer une justice plus équitable et mieux faite.


Pour autant, l’art ne devrait pas faire appel à la morale, celle-ci dégradant l’œuvre en empiétant sur les libertés de l’auteur et donc sa capacité à créer. C’est dans cet axe que la symbolique du film prend un tout autre sens et devient géniale dans son originalité. Puisque si les auteurs ne créent que dans un but de satisfaire le spectateur, les barrières des expériences étrangères resteront limitées, tout comme la capture de l’essence des choses et leur représentation. Exit alors les immoraux « Killer Joe » (William Friedkin, 2012), « Irréversible » (Gaspar Noé, 2002) ou « It Follows » (David Robert Mitchell, 2015) qui franchissent les limites des mœurs et permettent à l’universalité des jugements de voguer vers de nouveaux courants de pensées.


L’association de la forme et du fond permet à « Peur de Rien » de s’inscrire dans nouvelle ère de subjectivité. Si la forme reste simple et académique, sans réelle audace de mise en scène - au même titre qu’un bon casting n’évite pas pour autant les erreurs de direction - c’est dans le fond et la dualité de son ressenti que le film prend tout son intérêt. Libre alors à chacun d'y aller de sa propre appréciation et de ses propres limites.

Evalia
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le 17 févr. 2016

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Evalia

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