Souvent comparé, à raison, à The Rocky Horror Picture Show, ce grand classique s’en distingue largement dans les fondements esthétiques et moraux. Opéra-rock culte, mais aussi thriller cynique comme presque tout De Palma, Phantom of the Paradise laisse découvrir un pessimisme profond quand à la capacité des hommes de lutter contre l’injustice, l’impunité des prédateurs et la capacité à changer le monde comme les individus.
Le show-business et la soumission de l’art à la logique capitaliste sont les cibles de De Palma, qui a déclaré composer avec elles par défaut. Il faut lui reconnaître sa cohérence car s’il a tourné des blockbusters, il a toujours induit son style personnel et en est arrivé à se couper des studios de masse américains pour devenir dans les années 2000s un réalisateur européen.
Phantom of the Paradise se nourrit de nombreuses inspirations, à commencer par Le Fantôme de l’Opéra (roman de Gaston Laroux à la vaste postérité), mais comprend aussi d’autres totems de la littérature comme Le Portrait de Dorian Gray. Au rayon cinéma, il puise sa source dans le cinéma muet allemand et en particulier Le Cabinet du Dr Caligari ainsi que dans La Soif du Mal et plusieurs métrages de Hitchcock. Il est souvent dit que Phantom of the Paradise est le résultat glamour de la fusion entre Faust et Le Fantôme de l’Opéra, ou bien entre Faust et Frankenstein.
Le thème du double cher à De Palma prend un sens particulier ici. En effet Swan, le producteur excentrique manipulant Winslow Leach, le compositeur naïf défiguré à qui il a volé la chanson, apparaît comme celui que Winslow aurait pu devenir. Il ne peut plus qu’être la source cachée du nouveau succès phénoménal de Swan, déjà comblé par la vie. Ce patron infâme est aussi un de ces personnages riches vivant en autarcie et dictant leurs propres règles dans un monde sur-mesure. Une certaine figure ayant toujours exercée une fascination sur De Palma et dont il délivre ici l’exemple le plus radical. Swan serait d’ailleurs inspiré de deux personnalités réelles à la destinée pantagruélique, Howard Hugues et le producteur Phil Spector.
Film multi-genre, accessoirement fantastique dopé à la comédie musicale, Phantom of the Paradise reste célèbre aussi pour ses chansons remarquables et caractéristiques. Jessica Harper révèle sa voix au travers de sons lyriques et déchirants comme Old Souls. Des morceaux plus euphoriques se bousculent, ainsi que des parodies des courants de l’époque ou des sixties, notamment des Beach Boys en ouverture avec Goodbye Eddie ou Uphelstory.
Phantom of the Paradise est à la fois un magma incandescent et une œuvre recueillie, consistante, formulant des critiques ou des considérations humaines très précises et sérieuses, à l’égard de l’industrie, de l’individualisation, le pouvoir et la création. C’est aussi un beau film enflammé sur la passion, où la tragédie est une bénédiction, de l’accident effroyable à la mort vengeresse.
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