A l’occasion de la sortie du film d’animation Mad God, il m’apparaît pertinent de revenir sur le documentaire centré sur son créateur, à savoir Phil Tippett, des rêves et des monstres (2019) de Gilles Penso et Alexandre Poncet. Déjà à l’œuvre de Ray Harryhausen, le Titan des effets spéciaux (2011) et du Complexe de Frankenstein (2015), relatant les expériences d’artistes sur l’animation en volume (dite « stop-motion »), ces réalisateurs conçoivent avec ce troisième documentaire le portrait de Phil Tippett, un animateur de marionnettes monstrueuses ayant connu le passage des effets spéciaux pratiques à l’ère du numérique.
En effet, c’est à cet homme âgé de 71 ans que l’on doit de nombreuses créatures de la saga Star Wars, dont l’apparence de Jabba Le Hutt dans Le Retour du Jedi (1983), ainsi que des robots animés image par image dans Robocop (1987-1993) dans son propre studio créé en 1984. Cependant, Phil Tippett a participé à la conception des dinosaures pour Jurassic Park (1993) et s’était senti dépassé par le recours tardif à des images de synthèse, « plus intimidé que fasciné » par cette révolution numérique. Le documentaire retranscrit ce sentiment-là par une rupture dans sa narration, avec un effet parasitaire d’images dans le montage, et souligne de cette manière un changement de paradigme de la production d’effets spéciaux qui se retrouve au cœur du parcours professionnel de Tippett.
Plus qu’un documentaire, l’œuvre d’Alexandre Poncet et de Gilles Penso se construit comme un aperçu intime de l’animateur. La première image donne le ton : un plan filmé en contre-plongée capte un atelier de figurines comme la représentation d’un espace mental, donnant à voir dans chacune de ces figures monstrueuses une part de l’âme du créateur. Au-delà des entretiens constituant le métrage, la réalisation se focalise intensément sur Phil Tippett, son implication physique à faire bouger ses créations et ses inspirations profondes, matérialisées en tant que projections mentales à travers des extraits de King Kong (1933) qui sont placés à la hauteur de la tête de l’animateur filmé en très gros plan. Des aspirations personnelles aux contributions dans des productions à gros budget, Alexandre Poncet et Gilles Penso délivrent à l’écran les obsessions de cet animateur et sa fascination, presque à visée tératologique, pour la création de corps grotesques, laids et informes.
Phil Tippett, des rêves et des monstres s’ouvre sur un travelling latéral de gauche à droite qui fait défiler plusieurs marionnettes, à la manière d’un cabinet de curiosités monstrueuses, et se clôt sur le tournage de Mad God, décrit comme une « sorte de processus organique et obsessionnel » par la femme de Phil Tippett. Entre les désirs, les échecs et le besoin inassouvi de créer, le film documentaire aborde de nombreux thèmes aidant à la constitution du portrait d’un animateur solitaire à l’esprit bouillonnant d’idées crépusculaires ; une mise en bouche idéale avant de se plonger dans le tréfonds apocalyptique de son esprit dans Mad God (un film pour public averti) !