Concepteur et superviseur d’effets spéciaux, Phil Tippett a gravé son nom dans le marbre du cinéma fantastique et de science-fiction. Admirateur de Ray Harryhausen, il a d’abord imité la démarche du père du stop motion avant de se fondre dans les images de synthèse qui ont révolutionné le Hollywood post-Jurassic Park. C’est précisément cette trajectoire caractérisée par la passion et le succès que Gilles Penso et Alexandre Poncet restituent dans leur documentaire.
En 1993, le nom de Phil Tippett n’échappe déjà plus à personne. Associé à Star Wars, Timegate, RoboCop ou Piranhas, ce concepteur d’effets spéciaux est intégré de longue date dans le circuit hollywoodien. Il vit pourtant des heures difficiles, matérialisées par l’avènement des images de synthèse, appelées à supplanter les techniques de stop motion et de go motion qui lui sont chères. La première pierre lancée dans son jardin s’intitule Jurassic Park. Steven Spielberg est conquis par le réalisme des CGI et Phil Tippett, secoué, voire quelque peu déprimé, craint de finir aux oubliettes de l’histoire cinématographique. L’artisan a tort, mais il ne le sait pas encore. Cette ligne de fracture est parfaitement mise en lumière par Gilles Penso et Alexandre Poncet.
Avant d’en arriver là, Phil Tippett fut d’abord un cinéphile mordu d’effets spéciaux comme il en existe des milliers d’autres. Abasourdi dès cinq ans devant le King Kong de Merian C. Cooper et Ernest Beaumont Schoedsack, admirateur du travail de Ray Harryhausen sur Le Septième voyage de Sinbad, il va tôt se passionner pour le cinéma au point de s’enferrer dans une solitude qui inquiètera ses parents. Qu’importe, le jeune garçon ne rêve que d’une chose : modeler et animer l’argile comme le font ses inspirateurs. Durant son adolescence, il participera aux projets indépendants de Bill Stromberg, qui adaptera la nouvelle de Ray Bradbury A sound of Thunder. L’Université lui ouvre ensuite la voie à toutes sortes d’expérimentations et contribue à libérer sa créativité, avant que celle-ci ne s’exprime chez Cascade Pictures, une société spécialisée dans les films publicitaires.
Le documentaire de Gilles Penso et Alexandre Poncet parvient très bien à verbaliser cette passion précoce pour l’artisanat cinématographique. Phil Tippett y apparaît tel qu’il est : un passionné inventif et parfois rêveur, mais aussi une force de travail incroyable, capable de s’investir dans un projet en étant continuellement au four et au moulin. C’est ce qu’il se passe sur les plateaux de RoboCop ou Starship Troopers (au point de finir physiquement épuisé), ou lorsqu’il conçoit des dizaines de créatures ou de masques pour Star Wars. Sa femme Jules Roman gère en maître l’intendance, ce qui implique aussi le Tippett Studio. Leur rencontre, leur union et les synergies qui en découlent se trouvent ou se devinent dans les interstices du documentaire. Y figurent également, en proportions variables, des indications sur les goûts personnels de Phil Tippett (l’animation de créatures organiques plutôt que de machines), des explications sur les techniques d’animation employées par le concepteur d’effets spéciaux ou des évocations de son travail sur les Walkers des neiges, Jabba le Hutt, le dragon Vermithrax ou encore le robot ED-209 ou le cyborg de RoboCop 2.
Le documentaire est passionnant, bien rythmé et émaillé d’entretiens éclairants. Les deux réalisateurs y évoquent à la fois une vie, une passion et un métier, le tout à parts quasiment égales. Ils clôturent enfin leur film par deux longues évocations, touchant à Mad God, « un film expérimental en stop motion », comme cela est indiqué sur le portfolio du Tippett studio, et la partie d’échecs holographique vue dans un épisode de Star Wars, laquelle recourt naturellement… au stop motion qui a fait la renommée de Phil Tippett.
Sur Le Mag du Ciné