Pina, c'est l'essence même de la danse. Un documentaire non pas sur Pina Bausch elle-même, mais sur sa passion de la beauté, de l'amour, de la solitude et surtout du corps. Un film en hommage à Pina Bausch somme toute, constitué essentiellement d'extraits de ses pièces (le mot spectacle serait incorrect) et de paroles de ses danseurs, qui parlent d'elle en lui rendant hommage.
Mais plus qu'à Pina elle-même, il me semble que ce documentaire rend hommage à ses danseurs. Le corps humain n'est jamais apparu aussi humain, aussi fragile, aussi plein de douleur et de colère. Pièces, parce que les danseurs sont avant tout des acteurs, des acteurs incroyables qui expriment par le moindre mouvement, le moindre sourcil levé, le moindre orteil crispé les sentiments les plus intenses qui soient, de manière désespérément humaine.
Pina Bausch semble déceler la beauté, la magnifier, là où à première vue il n'y en pas : tous ses danseurs ont des traits très particuliers, presque aucun ne correspond aux critères de beautés conventionnels, et dégagent tous quelque chose d'animal. C'est en ce sens que Pina sait rendre les hommes humains, les ramener à leur essence primitive par la danse. Plus que la musique ou plus que le décor, l'élément central est le corps, et Pina met en scène aussi bien sa force par le dévoilement des muscles saillants, que sa faiblesse, par l'ampleur de l'essoufflement des danseurs que la musique ne cherche pas à camoufler.
Il ne s'agit pas ici, comme dans un spectacle conventionnel, de montrer les choses, mais de les faire ressentir. Tous les mouvements, qui semblent absurdes au premier abord, n'ont pas forcément de sens, mais sont profondément dérangeants, violents, pathétiques. C'est certainement une véritable quête de soi que Pina essaie de faire mener à bien à ses danseurs : "Pina disait "Il faut continuer à chercher", rien de plus. Alors on cherchait, sans être sûr d'être sur la bonne voie".
Je n'aurais pas aimé travailler avec Pina. Elle a une capacité effrayante à obliger les gens à s'abandonner totalement, à lire au plus profond d'eux-même, elle "regardait au fond de leurs âmes". Ses danseurs sont confrontés à eux-même à chaque instant, dans un véritable abandon de soi, déconcertant. "Pina nous a appris à assumer tout ce que nous faisons, chaque geste, chaque pas". Les chorégraphies de Pina mettent aussi, et surtout, en scène une confiance absolue en l'autre, une confiance terrifiante qui dénature l'idée que je me faisais moi-même de l'humanité. Pina, en quelques minutes, peut faire resurgir les instincts les plus primaires de l'homme, ses forces les plus oubliées et ses faiblesses les plus enfouies. Ses danseurs sont des archétypes de l'humanité même, chacun se reconnaît dans leurs mouvements; en sortant de la salle, on ne se dit pas "je veux être beau comme eux", on se dit "je suis comme eux". Pina, en un mot, nous fait redécouvrir l'humanité.
"T'as toujours l'impression d'être un être humain quand tu travailles avec Pina."