"Je préfère encore être un cochon décadent qu'un fasciste"
Porco Rosso, c’est l’histoire d’un chasseur de primes mais pas sans foi ni loi, qui préfère être un cochon qu’un homme, et qui pourrait tout aussi bien être américain tant il aime la liberté. Porco Rosso, c’est l’histoire du rouge qui rencontre le bleu, de la désillusion qui confine à l’absurde, d’un cochon et de sa dépendance à la voltige. Autant le dire dès maintenant : du grand art. Et quand le générique commence à grésiller dans vos oreilles, c’est plus fort que vous, le charme vous contraint à regarder l’écran tellement c’est beau et tellement vous n’avez pas envie que ce soit déjà fini. Un de ces longs-métrages qui ont le goût amer du plaisir trop court.
Porco Rosso, c’est l’histoire de la rancœur d’un cochon qui ne supporte plus le monde et ne se supporte plus lui-même, d’une amertume qui enfle inéluctablement jusqu'aux dimensions tragiques d’une malédiction que Marco s’est lui-même infligée. Idiot le spectateur abusé qui concentre son attention sur le visage humain du porc volant, quand son groin et ses moustaches ont tellement plus d’importance, tellement plus de charme, tellement plus de classe. Oui, tout est là, tout laisse à penser qu’il retrouve son visage (Fio, après tout, tempère bien l’ardeur de Porco en ne cherchant qu’à le (ré)humaniser…), mais à quoi bon le cinéma si l’on ne peut pas en retenir ce qu’on veut ? Porco restera toujours Porco, il « ne montrera plus jamais signe de vie » et sa hargne contre la vacuité de l’existence, manifestement incarnée par le fascisme, mais surtout par cette tête de cochon décadent dont personne ne s’étonne, sa hargne merveilleusement portée par ta voix, Jean Reno, puisque tu sais que je n’aime rien chez toi sauf ta voix quand elle s’habille en rouge, sa hargne donc restera toujours tragiquement intacte (le noir a toujours une beauté telle qu’elle en ridiculise presque le blanc, on vit dans un monde de pourris après tout).
Porco Rosso, c’est l’histoire de la nostalgie du Temps des Cerises (avec l’accent japonais, il fallait y penser, il fallait oser, ils l’ont fait) sur fond de ciel et d’ailes rouge sang, qui annonce quelque chose de désespéré : on rêve tous un jour ou l’autre de changer le monde, on finit tous un jour ou l’autre cochons, la perversion et la désillusion nous attendent toujours au coin de la rue, et le ciel n’en est pas une échappatoire. Adieu jours de débauche et de libertés entre les îles enchanteresses.