La flamme et le pantin
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Après nous avoir fait arpenter sa "Nightmare Alley" et visiter la première galerie de son "Cabinet of Curiosities", Guillermo Del Toro conclut sa belle et prolifique année 2022 avec la sortie de sa propre version des aventures du pantin vivant imaginé par Carlo Collodi. Tombé sous le charme des illustrations de Gris Grimly lors d'une réédition du célèbre conte en 2002, le cinéaste mexicain leur donne aujourd'hui vie, avec l'aide du talentueux animateur Mark Gustafson ("Fantastique Mr Fox"), pour ce qui sans doute à la fois un des plus beaux films d'animation de 2022 et la meilleure adaptation récente de "Pinocchio" !
Le match avec l'insipide live action Disney réalisé par Robert Zemeckis n'aura même pas lieu tant il suffit juste quelques minutes au film de Del Toro pour insuffler plus d'âme à sa relecture que l'intégralité de son prédécesseur.
En s'ouvrant bien en amont du réveil de sa marionnette, "Pinocchio" dévoile en effet d'emblée une vision du conte s'inscrivant cette fois dans un contexte plus réaliste, où la douleur déchirante de la tragédie vécue par Gepetto débute dans l'Italie de la Grande Guerre pour ensuite rejoindre la montée du fascisme en compagnie des mésaventures de Pinocchio, tout en parvenant à conserver son essence fantastique, avec bien sûr les piliers de l'histoire réinterprétés dans le sillage de créatures désormais imprégnées de l'imaginaire très reconnaissable de Del Toro.
Quand le film de Zemeckis donnait l'impression de ne pouvoir tirer de son modèle Disney qu'un enchaînement désincarné de saynètes (à peine justifié par les modifications de son dernier acte), celui de Del Toro donne au contraire une fluidité exemplaire à sa relecture du conte, où toutes les spécificités de son héros, de son nez allongé à son insoumission constante, reprennent enfin du sens au cours de ses péripéties souvent jalonnées de superbes idées pour les mettre en valeur au sein d'une vue d'ensemble cohérente.
Ainsi, après sa conception par un Gepetto dont l'ivresse du désespoir l'amène ici à enfiler les habits d'un docteur Frankenstein du jouet, Pinocchio se réveille dans un monde où la vindicte populaire est prête à le condamner à cause de sa seule existence, où les allers-retours dans une dimension surnaturelle côtoient les images pieuses, où la cupidité des hommes est bien sûr toujours présente pour tirer profit de ce miracle en pin et, surtout, où son caractère insouciant se heurte aux règles imposées non seulement par son père ou son gardien-insecte mais aussi à celles d'un régime fasciste voyant une forme de dissidence à tout non-respect de sa discipline stricte. En parallèle des passages les plus incontournables réveillés par l'ingéniosité du nouveau regard posé sur eux (les épreuves du cirque ou du monstre sont joliment dépoussiérées), le contexte habilement pensé de ce "Pinocchio" lui permet même de donner un cadre inédit au chapitre dit de "L'Île Enchantée/Pays du Jouet" pour confronter le pantin encore plus directement aux aspirations belliqueuses de l'époque, qui cherchent à formater les esprits les plus innocents à de noirs desseins. Toute cette séquence condense à elle seule l'intelligence de fond qui règne sur cette adaptation mettant comme jamais l'ombre du deuil sur la route de l'apprentissage d'un Pinocchio peut-être encore plus désobéissant (et bien sûr attachant) que d'autres à sa "naissance", et ce jusqu'à sa conclusion tirant le meilleur de tout ce qui a été mis en place à l'intérieur de cette mythologie brillamment enrichie.
Et sur la forme ? Un sans-faute. La réussite éclatante de l'animation, la mise en scène fourmillant de trouvailles, la photographie absolument magnifique, la richesse esthétique du patchwork d'univers traversés par le petit pantin, la délicatesse de la partition musicale d'Alexandre Desplat et ses chansons, le casting vocal bien pensé (Ewan McGregor en Jiminy Cricket, une idée de génie !), ... Tout ce qui habille ce "Pinocchio" concourt à susciter une forme d'émerveillement que l'on ne pensait jamais pouvoir retrouver devant un conte si connu de nombreuses générations.
Même si Guillermo Del Toro court aussi parfois le risque de se répéter (on pense beaucoup à certains grands titres de sa filmographie), le cinéaste parvient magistralement à délivrer cette histoire de son imagerie figée, notamment par Disney, grâce à son imaginaire fantastique plus sombre pour un "Pinocchio" qui n'a jamais paru aussi humain et touchant que sous son œil ces dernières années.
Et si Robert Zemeckis vous dit le contraire, on est prêt à parier que son nez s'allongera jusqu'à atteindre la taille d'un séquoia.
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Créée
le 9 déc. 2022
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