La flamme et le pantin
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le 12 déc. 2022
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Guillermo Del Toro est à la fête en cette fin d'année sur Netflix, après nous avoir fait pénétrer son Cabinet de Curiosités pour Halloween le réalisateur mexicain nous offre en avance un joli cadeau de Noël avec son adaptation du Pinocchio de Carlo Collodi. Le célèbre pantin de bois qui rêve de devenir un petit garçon s'est retrouvé maintes fois adapté à l'écran ; mais loin du bois bien trop poli de Disney, Del Toro préfère quelques aspérités rugueuses de l'écorce en plongeant son récit par exemple dans l'Italie fasciste des années 30.
Est -il vraiment besoin de rappeler l'histoire de Pinocchio ? L'histoire est celle de Geppeto un modeste sculpteur sur bois dont le fils est décédé suite à un bombardement. Désespéré, le vieil homme sculpte un soir d'ivresse une marionnette en bois qui au petit matin prend vie comme par magie. Innocent, maladroit, naïf, différent et débordant de vie le pantin va devoir trouver sa place dans un monde austère et rigide.
Le film réalisé en stop motion est déjà une petite merveille technique et graphique. Si il convient bien sûr de saluer la réalisation de Guillermo Del Toro il ne faudra pas oublier d'associer à sa réussite son coréalisateur le talentueux Mark Gustafson (directeur de l'animation sur Fantastic Mr Fox). Cette technique de stop motion donne définitivement une patine unique aux images comme une réalité distordu par l'imaginaire et un univers de cartoon organique et palpable, un monde entre rêve et réalité. Les textures sont riches, les décors fourmillent de détails, les personnages bien que très stylisés dans leur traits sont particulièrement vivants et la photographie et tout bonnement splendide. Ce Pinocchio est un bonheur constant pour nos yeux qui regardent avec le même émerveillement que Geppeto des pantins et des marionnettes prendre vie pour nous raconter une magnifique histoire. Le plus souvent assez quotidien et réaliste (dans la limite de l'exercice bien sûr) l'univers se fait parfois plus féerique et inquiétant lorsque Del Toro convoque des créatures fantastiques merveilleuses, des lapins décharnés au service des ténèbres et des esprits de la forêt pas très éloignés des Kodama du Princesse Mononoke de Hayao Miyazaki. Tout le travail sur la couleur et les teintes des émotions est aussi assez remarquable à l'image de cette scène ou Pinocchio tente de sauver Geppeto de la noyade et que le film passe en alternance du bleu glaciale des profondeurs et de la mort à un chaleureux coucher de soleil symbole de vie et d'espoir.
Quant à l'histoire elle même Del Toro y insuffle de nombreuses thématiques fortes et propres depuis toujours à son univers aussi sombre que merveilleux. Ici Pinocchio n'est pas confectionné par amour lors de longue séquences de construction artisanales très appliquées par un Geppeto méthodique. Le pantin est construit par une nuit d'orage au désespoir d'un Geppeto ivre d'alcool et de tristesse qui coupe, assemble, bricole une créature dans une démarche abrupt et rageuse plus proche de celle d'un docteur Frankenstein exalté que d'un gentil sculpteur ébéniste. Ce Pinocchio va donc naître d'un chaos émotionnelle et dans un chaos historique. Le petit pantin qui va aborder la vie avec tout l'enthousiasme et la naïveté d'un enfant s'éveillant au monde sans le moindre précepte d'éducation va surtout révéler par son aspect d'électron libre combien les marionnettes et les pantins ne sont pas forcément ceux qui sont fait de bois. L'enfant de bois va tenter de trouver sa propre voix dans une démarche plus proche d'une constante désobéissance que d'un conformisme aux différents ordres et préceptes établis qui l'entoure. Chacun tentera symboliquement de façoner l'enfant à sa triste et réductrice image que ce soit Geppeto qui essaye de retrouver le gentil fils qu'il a perdu, le Count Volpe qui en fera un objet mercantile pour construire sa richesse, le Podesta qui verra en lui un parfait soldat immortel. L'enfant de bois devra s'émanciper et trouver son propre chemin loin des préceptes religieux, éducatifs, politiques et moraux et finalement désobéir pour justement et paradoxalement ne plus être un pantin. Le cadre du fascisme et de l'Italie de Mussolini est particulièrement pertinent avec cette propagande qui formate les masses et ses pauvres bras tendus en l'air dans des saluts fascistes, comme de sinistres pantins tenus et manipulés par les fils de la haine et de l'ignorance. Toute la séquence montrant l'embrigadement de Pinocchio dans un camp d’entraînement militaire pour jeunes gamins répond thématiquement au Pleasure Island du Pinocchio de Disney. Les enfants pas sages qui venaient s'y défouler et finissaient transformés en ânes seront ici transformés en soldats uniformes portant des masques à gaz, juste comme dans une une nouvelle et pathétique fabrique à façonner d'autres ânes. Avec une certaine délicatesse et poésie Guillermo Del Toro évoque le destin de ses enfants soldats modelés par la haine de leurs pères et que l'on envoie mourir au combat à travers une sorte de combat de paintball bien innocent en apparence mais dont les éclaboussures de peintures rouges sur les visages d'enfants touchés renvoient à une réalité bien plus horrible et dramatique. Pinocchio parle aussi de paternité, d'éducation mais aussi et surtout de religion avec une analogie très forte entre ce pantin et un christ de bois façonné lui aussi par Geppeto. Le vieil homme se substitue même à dieu en créant lui même la vie, une vie construite en partie dans le refus du deuil et de la mort, car la fin de toutes choses est une autre des thématiques qui hantent merveilleusement ce Pinocchio.
Pour terminer sur quelques notes un peu moins enthousiaste, je n'adhère pas du tout à l'aspect musical du film qui semble une concession faites à l'animation traditionnel à la Disney. C'est d'autant plus agaçant que les chansons pas plus entraînantes qu'émouvantes ne sont globalement pas très bonnes et que Del Toro semble parfois s'amuser à violemment claquer le beignet de Cricket dès l'instant qu'il essaye de pousser la chansonnette comme si lui même ne le supportait pas. Même si le film est riche en thématiques, en aventures et en émotions j'aurai adoré qu'il me cueille aussi fortement et brutalement que pour Le Labyrinthe de Pan qui reste pour moi LE chef d’œuvre absolu de Del Toro. Si le récit est touchant, il ne parvient jamais à faire ressurgir des émotions fortes et puissantes à faire chialer les troncs d'arbres. Et puis malgré tout le respect que j'ai pour l'impressionnant casting original du film, j'aurai préféré pouvoir le regarder dans une version italienne forcément plus couleur locale avec l'action et le cadre de l'histoire.
Ce Pinocchio de Guillermo Del Toro est un film qui a du cœur et de l'esprit, outre sa formidable richesse thématique le film est d'une grande beauté visuelle et d'une magnifique perfection technique. Symboliquement Del Toro a placé à travers le personnage de Cricket la conscience de Pinocchio au niveau de son cœur. Que dire de plus ? Écoutez votre cœur pour avancer et pour célébrer avec force ce pantin fait d'un bois dont on fabrique les plus beaux rêves.
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Créée
le 11 déc. 2022
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