Après le triomphe mondial de Blanche-Neige et les Sept Nains, il ne faut pas attendre longtemps pour que Walt Disney et ses artistes décident de sortir leur deuxième Grand Classique en salles: Pinocchio. Malheureusement, ce dernier va être le premier film de la Compagnie à subir les conséquences de la Seconde Guerre Mondiale. En plein conflit, l'Europe ne peut pas recevoir le film et seuls les américains peuvent en profiter. Et pourtant, même sur le territoire nord-américain, les recettes sont moins convaincantes que celles du précédent film des Walt Disney Animation Studios, le budget de Pinocchio étant presque 2 fois plus important que celui de Blanche-Neige.
Mais comme tout vieux Classique Disney qui se respecte, c'est au fil du temps avec les très nombreuses ressorties au cinéma que Pinocchio atteindra finalement le rang de chef-d'oeuvre de l'animation.
Cependant, sa popularité n'est pas la même que bien d'autres films de la boîte aux grandes oreilles.
On retient principalement deux choses de Pinocchio: Son personnage central, Jiminy Cricket, et la chanson-phare du film, "Quand on prie la Bonne Étoile".
Cela n'est pas un hasard car sous ses aspects de conte de fée gentillet et familial, Pinocchio est sans aucun doute le film d'animation le plus pessimiste de l'Histoire de Disney.
L'image qu'il dépeint du monde humain est absolument atroce.
Là où dans l'oeuvre de Carlo Collodi, Pinocchio ira de péripétie en péripétie en découvrant tantôt des ordures de la pire espèce, tantôt des personnes humaines et raisonnées, le Classique Disney montre une véritable descente aux Enfers pour le pantin de bois.
À l'exception de Geppetto, aucun personnage que croisera Pinocchio dans le monde extérieur sera bien intentionné. Le Renard et le Chat le manipuleront et le vendront à un marionnettiste, ce dernier menacera notre héros de le brûler vivant s'il ne se montre pas coopératif, le Renard et le Chat le manipuleront à nouveau et le mèneront à un dangereux cocher, celui-ci profitera de la naïveté du pantin et de tous les autres enfants pour les transformer en ânes sans possibilité de retrouver leur apparence normale, et le film se terminera même (avant le happy ending bien entendu) sur la mort de Pinocchio après que la baleine Monstro ait tenté de le tuer lui et son "père".
Les deux seuls personnages du film qui se montrent amicaux à l'égard du petit garçon sont un cricket et une fée, deux êtres qui n'ont évidemment aucune place dans le monde extérieur.
Quand arrive la résolution finale, on nous fait croire à une fin où nos héros sont plus heureux que jamais mais le film ne parle que de leur situation.
Qu'en est-il de tous les autres personnages vus dans le film? Le Renard et le Chat ne sont pas attrapés et risquent de continuer leurs méfaits encore longtemps, Strombolli le marionnettiste n'est pas revu, et le Cocher a tous les enfants transformés en ânes à sa merci, certains iront travailler dans les mines jusqu'à en mourir, d'autres ne pourront rien faire à cause de leur voix toujours présente et Dieu sait ce qui pourrait leur arriver.
Au final, Pinocchio n'a fait que survivre au monde extérieur. L'image qu'il en a retiré n'est pas évoquée dans le film car si elle devait être présentée, elle serait terrifiante.
Il est alors logique que le public n'ait préféré retenir que la chanson culte du film aujourd'hui emblématique de chaque production du studio et le personnage de Jiminy Cricket. Il n'y a que ces deux éléments qui donnent de l'espoir. De l'espoir dans un film au contenu finalement extrêmement noir.
Malgré tous les gags faits autour des personnages secondaires comme Figaro (officiellement chat le plus mignon du monde, j'ai dit), malgré tous les passages plus réconfortants entre Pinocchio et Geppetto et les lueurs d'espoir dans les conversations entre Pinocchio et Jiminy, on ne peut s'empêcher une fois arrivé au générique de fin de ressentir un certain malaise.
Mais ce malaise est justement bienvenu.
Quel film de nos jours peut se vanter de proposer une approche aussi sombre et osée?
Même les films les plus sombres du studio (pour le peu qu'ils en ont fait) présentent des ambiances noires avant tout dans la forme (Taram et le Chaudron Magique, Bernard et Bianca etc...). Pinocchio mise le tout sur l'empreinte qu'il va laisser dans la mémoire du spectateur.
Si on ajoute à ça une animation révolutionnaire pour l'époque et encore aujourd'hui incroyable (la séquence avec Monstro reste un des plus grands moments d'animation que j'ai vu dans ma vie), toutes sortes d'avancées techniques remarquables (la représentation de l'Océan, juste bluffante), une bande-originale marquante et inoubliable et des personnages très mémorables, on obtient un film tout simplement extraordinaire à mes yeux.
À chaque revisionnage, Pinocchio ne cesse de devenir meilleur. Plus le temps passe, plus il apparaît comme un OVNI au sein du studio aux grandes oreilles sur le plan des films purement familiaux.
Un autre OVNI verra le jour un an après et deviendra une référence obligatoire pour tout fan d'animation qui se respecte: Fantasia.